Dans La vie et la mort selon Bruegel l'historien et essayiste belge Vincent Delannoy propose une fine analyse de la conception de l'existence dans les Pays-Bas du XVIe siècle. A travers des exemples provenant de l'histoire, de l'art et de la religion il décortique la fascinante oeuvre de Pierre Bruegel, dit «l'Ancien» 1525?-1569), mettant en exergue l'importance de la thématique de la mort dans ses paysages. Peintre paysan, né à Breda, dans la province flamande du Brabant, Bruegel l'Ancien s'est inscrit durablement dans l'histoire de l'art par ses paysages hivernaux, ses nombreuses scènes paysannes ou ses représentations fantastiques, rappelant étrangement celle de son illustre prédécesseur, Jérôme Bosch. L'auteur, dont le travail de base s'enrichit d'une large documentation, ne nous montre pas seulement comment le créateur de la Tour de Babel et des Chasseurs dans la neige traite de la mort dans son oeuvre mais nous explique en quoi cette dernière est simultanément novatrice et le fruit d'une longue tradition iconographique remontant à la Renaissance et aux siècles précédents. A la fois érudit et vulgarisateur, ce court et brillant essai nous invite à mieux cerner l'univers breughélien, incroyablement varié, le plaçant au plus près de l'art, de la vie sociale et des mentalités de son époque. « Chez le peintre, nous constatons que la mort est une réalité paysagère », nous avertit d'emblée l'auteur dans l'Introduction. Ce lien étroit entre paysage et concept de mort sert de fil conducteur au livre. Et parmi les paysagistes flamands, à travers sa production, Bruegel nous apparaît comme un artiste qui a approché au plus près la réalité historique de son temps et sa familiarité avec la mort, notamment dans la représentation de gibets et de lieux d'exécution, même si ces derniers n'occupent pas une place centrale dans ses tableaux. Outre ses paysages Bruegel explore aussi la dimension symbolique de la mort dans ses représentations de scènes bibliques, nous montrant qu'il est d'une certaine façon un passeur (d'idées, d'émotions) dans sa façon d'interpréter tous les questionnements et les obsessions qui agitent cette seconde moitié du XVIe siècle. Dans son analyse du langage visuel de Bruegel l'historien belge se révèle convaincant et des tableaux emblématiques comme la Pie sur le gibet (1568) ou l'apocalyptique Le Triomphe de la mort (1563) nous font entrevoir l'aspect universel d'une création qui semble vouloir suggérer à celui qui regarde que le dernier voyage fait entièrement partie de la nature et du cycle de vie. Une création d'autant plus troublante que l'on ressent dans les représentations de Bruegel une difficulté à distinguer ambition picturale et philosophique ! L'on peut aussi supposer chez Bruegel des influences diverses telles que Jérôme Bosch, Hans Holbein, l'Apocalypse selon Saint-Jean, Dante. Chez Bruegel la vie et la mort semblent inextricablement liées. La profusion de symboles nourrit aussi la portée fortement suggestive des tableaux, ainsi dans Paysage d'hiver avec patineurs et trappe aux oiseaux (1565), oeuvre dont Sabine van Spring, citée dans le livre, écrit : « Les scènes de patinage incarnaient fréquemment dans les arts le caractère incertain (glissant) de l'existence. Patineurs et oiseaux se rejoignent ici tant par leur insouciance que par leur vulnérabilité face au péril qui les menace » (page 99). Publié chez l'éditeur belge Samsa l'on recommandera à tout amateur d'art cet intéressant livre, qui sans doute aurait mérité davantage d'illustrations.
Vincent Delannoy, La vie et la mort selon Bruegel, Histoire de l'art, essai, éditions Samsa, 162 pages, 2025
(disponible à partir du 12 juin 2025)
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