lundi 16 juin 2025

Gloire et éviction des Femmes peintres 1770-1804


Dans le livre Gloire et éviction des Femmes peintres 1770-1804 Marie-Jo Bonnet propose une analyse fouillée et impertinente de la création artistique féminine à la fin du siècle des Lumières. Envisageant autant le statut professionnel que l'aspect novateur de leurs oeuvres, elle décortique le système de médiatisation de ces  peintres, le replaçant au sein de l'histoire des mentalités et des courants picturaux.

Historienne d'art, Marie-Jo Bonnet est l'autrice de nombreux ouvrages sur l'histoire des femmes. Dans Gloire et éviction des Femmes peintres 1770-1804, elle s'intéresse particulièrement à la dernière partie du XVIIIe siècle, période relativement courte mais qui vit l'éclosion d'une génération exceptionnelle de peintres féminins comme Elisabeth Vigée Le Brun, Anne Vallayer-Coster, Gabrielle Capet ou Adélaïde de Labille-Guiard.

Gabrielle Capet, Autoportrait, 1783,
Musée national de l'art occidental de Tokyo

Détaillé, le livre nous raconte leur parcours de femmes artistes dans le cadre d'un statut professionnel privilégié. En effet, à la veille de la Révolution, la seule voie d'accès à la légitimité artistique était d'être membre de l'Académie royale de peinture et de sculpture. Marie-Jo Bonnet nous raconte cette histoire souvent méconnue, d'autant plus singulière, que malgré leur nombre restreint dû à des quotas ridicules et à d'innombrables barrages idéologiques ces artistes influencèrent grandement l'histoire de l'art de leur époque, privilégiant dans leur travail l'autoportrait et une représentation picturale que l'on pourrait qualifier aujourd'hui d' « intimiste ». Par ailleurs, ces femmes furent à l'origine de nombreux salons artistiques parisiens et créèrent des écoles formant les futures peintres de la génération suivante.

A. Vallayer-Coster, Nature morte avec panache de mer, coquillages et lithophytes, 1769,
Paris, Musée du Louvre.

A propos d'Adélaïde de Labille-Guiard, reçue à l’Académie de peinture et de sculpture en 1783, en même temps qu'Elisabeth Vigée Le Brun l'historienne d'art précise : « L'école de Mme Guiard est un lieu d'apprentissage du métier certes, mais c'est surtout un espace de prise de conscience, le point de cristallisation d'un nouveau comportement des femmes face à la carrière professionnelle et à la réussite sociale » (page 64). En outre, par leur statut professionnel, ces artistes, à la veille de la Révolution, semblent redéfinir les codes même de la représentation artistique. Gloire et éviction des Femmes peintres  1770-1804 met en exergue le féminisme latent et l'aspect politique de ces oeuvres même si aujourd'hui leur suggestivité peut nous paraître moins prégnante. 

Marguerite Gérard, Jeune femme peignant le portrait d'une musicienne, v.1800,
Leningrad, Musée de l'Ermitage.

En effet, les années 1780 voient culminer une confrontation picturale et idéologique entre tenants d'une peinture « virile » d'histoire antique (David, Gros, Girodet) et femmes peintres comme Vigée Le Brun et Labille-Guiard, privilégiant la peinture de portrait, objet lui-même d'un double positionnement, celui de la femme et de l'artiste. Outre leur valeur esthétique, ces tableaux ne sont pas anodins, et à travers de nombreux exemples Marie-Jo Bonnet décortique d'une façon intéressante le sens caché de ces tableaux ou du moins nous fournit des pistes pour mieux les identifier. Ainsi, Adélaïde Labille-Guiard, dans Une femme occupée à peindre et deux élèves la regardant, met en valeur l'idée de transmission et de complémentarité.

Adélaïde Labille-Guiard, 
Une femme occupée à peindre et deux élèves la regardant
Salon de 1785,
New York, Metropolitan Art Museum.

A propos de ce tableau datant de 1785, l'autrice écrit : « Adélaïde Labille-Guiard inaugure en revanche une image de femmes émancipée de leur foyer, qui la place au coeur d'une double filiation. Transmission des connaissances à travers la filiation professeur/élève et reconnaissance symbolique par le biais du Père/institution. » (page 73). Quant à l'amusant tableau de Suzanne Giroust, intitulé Autoportrait en train de reproduire un pastel de Quentin de la Tour (vers 1770), [l'on pourrait presque vu la période (!) parler de « marivaudage pictural »], c'est une oeuvre équivoque fonctionnant avec humour sur deux registres contradictoires : identification au grand peintre de pastel qu'est Quentin de la Tour et mouvement ironique de distanciation avec ce modèle masculin.

Suzanne Giroust : Autoportrait en train de reproduire un pastel de Quentin de la Tour, vers 1770,
Collection particulière.

Enfin, le tableau Aspasie (1794) de Marie-Geneviève Bouliard peut paraître osé car créé sous la Terreur. Marie-Jo Bonnet note : « L'artiste [Marie-Geneviève Bouliard] ne revendique pas un statut politique égal, encore moins un quelconque pouvoir politique, mais la reconnaissance de ses capacités et de son influence. Hommage déguisé à une femme éliminée par le Comité de Salut Public, Mme Roland, conseillère estimée de son mari, qui défendit la démocratie et la liberté, s'exclamant sur le chemin de la guillotine en croisant la statue de la Liberté : "Ô Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! " » (page 171). Rappelons que certaines de ces peintres furent révolutionnaires, d'autres pas.

Marie-Geneviève Bouliard, Aspasie, 1794,
Arras, Musée des Beaux-Arts

Les ex-académiciennes comme leurs confrères masculins furent invitées en 1793 à déposer leurs titres et à les livrer aux flammes. Vigée Le Brun, la plus connue d'entre elles, poursuivra sa carrière artistique et connaîtra un long voyage d’exil qui durera un peu plus de douze années. Gloire et éviction des Femmes peintres 1770-1804 nous rappelle que la période révolutionnaire fut en général défavorable aux femmes artistes, supprimant non seulement leur peu de privilèges mais les cantonnant à reproduire les images convenues de  mère et d'épouse médiatisées avec encore plus de succès sous la période suivante,  celle napoléonienne.

Marie-Geneviève Bouliard, Portrait d'Adélaïde Binart, Salon de 1796,
h.t.82 x 62 cm,
Paris, Carnavalet

Le livre de Marie-Josèphe Bonnet se profile d'autant plus intéressant, qu'il s'inscrit dans une vision à la fois féministe, historique et sociologique de l'art. D'origine hétérogène, issues à la fois de la moyenne bourgeoisie et de l'aristocratie, ces femmes auront au cours de près de trois décennies concrétisé de nouvelles formes de dialogue artistique, rompant avec l'autoportrait le monopole de l'allégorie, genre déterminant de l'Ancien Régime. A propos de cet héritage artistique de la fin du XVIIIe siècle l'historienne d'art écrit : « La période 1770-1804 est donc tout à fait exemplaire du rapport des femmes à la création et du poids de la société dans le développement de leurs capacités créatrices. Après avoir conquis les premières places, elles seront, sous le coup de décisions politiques catastrophiques, renvoyées à un genre féminin étroit, sentimental et maternel, qui finira par leur couper les ailes » (page 11).

Marie-Josèphe Bonnet, Gloire et éviction des Femmes peintres 1770-1804, Histoire de l'art, grand format, éditions Chryséis, 248 pages, 2024 

* visuels et légendes in  Gloire et éviction des Femmes peintres 1770-1804

A lire :

Vincent Delannoy, La vie et la mort selon Bruegel,  Histoire de l'art, essai, éditions Samsa, 162 pages, 2025

Catalogue, En jeu ! Les artistes et le sport 1870-1930, broché avec rabats, coédition Musée Marmottan-Monet, Paris / In Fine éditions d'art, 256 pages/251 illustrations, 2024 
Jean-Marie Rouart, Augustin Rouart entre père et fils, Beau Livre, éditions Gallimard, relié plein papier, 112 pages, nombre d'illustrations : 95 environ, 2023

Anne de Marnhac, Les liaisons dangereuses selon Fragonard, broché, grand format, éditions ateliers henry dougier, collection « Le roman d'un chef-d'oeuvre », 128 pages, 2023

Laurent Jenny, La Folie du regard, essai sur l'art, broché, grand format, éditions L'Atelier contemporain, collection Essais sur l'art, 208 pages/44 illustrations couleur, 2023

Françoise Bayle (textes), New York des peintres et des écrivains, anthologie, grand format, éditions Hazan, 240 pages, 2022

Emmanuelle Dreyfus, Stéphanie Lemoine, L'art clandestin - Anonymat et invisibilité, du graffiti aux arts numériques, broché, grand format, éditions Alternatives, collection « Arts urbains », 237 pages, 2022

Collectif, Vivre le cubisme à Moly-Sabata, relié, grand format, éditions Libel, 160 pages, 2022

Vita Nuova - Nouveaux enjeux de l'Art en Italie 1960-1975 - Catalogue
Autrices : Hélène Guenin , Valérie Da Costa , Laura Lamurri et Sara Miele
Editions Snoeck, relié, 176 pages, 2022

Benjamin Olivennes, L'Autre art contemporain, vrais artistes et fausses valeurs, réédition, essai littéraire, éditions Points, collection « Points document »168 pages, 2021

Audrey MartyLe grand Toulouse et ses peintres, éditions Le Papillon Rouge, grand format, broché, 188 pages, 2021

Christophe BelserPeintres & Couleurs de Nantes, Le Papillon Rouge Editeur, 188 pages - 200 tableaux, 2021

Frank ClaustratLa peinture nordique et ses maîtres modernes - 1800-1920, Beau-Livre, relié, éditions Le Faune, 192 pages/130 illustrations, 2021 

Collectif, Italia moderna - La collection d'art moderne et contemporain du Musée de Grenoble, coédition Musée de Grenoble / in Fine éditions d'art, 96 pages/84 illustrations, 2020

Collectif, Les Amazones du Pop, catalogue d'exposition, éditions Flammarion, 160 pages, 240 x 310 mm, relié, 170 illustrations, 2020

Federico Fellini, Le Livre de mes rêves, avec un texte inédit de Daniel Pennac, éditions Flammarion, hors collection, relié, 584 pages, 450 illustrations, 2021

Gabriel Badea-Päun, Les Peintres roumains et la France (1834-1939), traduction de Philippe Louvière, éditions in fine, 200 pages, 170 illustrations, 2019

Jacques Lambert, L'antisémitisme dans le monde des arts et de la culture [1900-1945],  éditions de Paris / Max Chaleil, collection : Essais et documents,  304 pages + cahier hors reste de 12 pages illustré,  format : 15 x 23cm, broché sous couverture quadri, 2019

Christiane Lavaquerie-KleinLaurence Paix-RusterholtzLes femmes de la Bible dans l'art, éditions du Cerf, 284 pages, 2019

Hélène Eisenberg et François LespinassePeintres de la Seine, éditions des Falaises, 336 pages, 2017

David Hockney et Martin Gayford, traducteur (Pierre Saint-Jean), Une histoire des images - De la grotte à l’écran d’ordinateur,  éditions Solar, 360 pages/341 illustrations, 2017
http://blogdephaco.blogspot.com/2017/07/une-histoire-des-images-de-la-grotte.html#more

Claudine HumbletPost-Minimalisme et Anti-Form : dépassement de l’esthétique minimaliste, éditions Skira, 295 pages, 2016

Christine FrérotFictions mexicaines, 38 témoins de l’art du XXe siècle, préface de Jaime Moreno Villarreal, 195 pages, Riveneuve éditions, 2016 

Anka MuhlsteinLa plume et le pinceau - L’empreinte de la peinture sur le roman au XIXe siècle, éditions Odile Jacob, 214 pages, 2016

Gérard DenizeauPanorama de l'Art contemporain - De Jackson Pollock à Jeff Koons, collection « Les Essentiels de l’histoire de l’Art », éditions Larousse, 96 pages, 2015

Les Ménines par Santiago Garcia (récit) et Javier Olivares (dessins), éditions Futuropolis,180 pages, 2015 http://blogdephaco.blogspot.com/2015/09/les-menines.html#more

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