Dans l'essai
Mécaniques des foules Elena Bovo décortique les nombreux récits, discours et théories qui ont déterminé notre manière de les appréhender. De
Psychologie des foules, véritable best-seller - au XIXe siècle - de
Gustave Le Bon aux intuitions de
Gabriel Tarde en passant par la vision freudienne des masses, ce livre nous invite entre histoire, sciences sociales et philosophie à une réflexion solide et impertinente sur la perception du phénomène de foule.
Apparue au XIXe siècle, la psychologie des foules est une science sociale qui connut un grand succès (35 éditions du vivant de l'auteur !), portée par le livre culte de
Gustave Le Bon,
La psychologie des foules (1895). Pourtant, ses théories sur la foule ont influencé le rapport au chef et la propagande du fascisme qui connait son ère de gloire au tournant du XIXe et XXe siècle. (En 1926, dans son interview à l'envoyé spécial de
La Science et la Vie,
Pierre Chanlaine,
Benito Mussolini affirma qu'il considérait
la Psychologie des foules comme un « ouvrage capital. » Clair et incisif, l'essai de
Bovo nous informe, outre ses multiples récupérations politiques, de l'influence qu'eut ce livre à son époque. Il nous rappelle aussi que les idées développées dans
Psychologie des foules n'étaient pas neuves d'autant plus que les pionniers de la psychologie des foules, italiens et pour la plupart juristes, avaient déjà théorisé les manifestations de foules ainsi que leurs débordements. Dans son livre
Bovo nous signale leur importance dans l'évolution des idées, notamment celle de
Scipio Sighele, auteur du premier essai à caractère scientifique [
La Foule criminelle - Essai de psychologie collective (1891)] Elle décrit ainsi la désinvolture intellectuelle de
Le Bon vis-a-vis de
Sighele : « Quatre ans plus tard, en 1895,
Le Bon, trop occupé à vouloir donner un caractère totalement inédit et novateur à sa
Psychologie des foules, occulta sans trop de scrupules l'essai du jeune juriste italien, tout en reprenant ses thèses, sans jamais le citer » (
page 53). Une chose semble rapprocher les pionniers français et italiens de la psychologie des foules : la méfiance qu'ils éprouvent pour la fréquence croissante et nouvelle des manifestations incontrôlables de protestation collective. Il s'agit d'une « foule psychologique » chargée de menaces, dont l'autrice nous rappelle le sentiment ambivalent qu'elle inspire au cours du XIXe siècle : «
Michelet dépeint la foule à la lumière des évènements de 1848 dont il vient d'être le témoin actif. Désordonnée, haineuse et violente, cette foule-là peut devenir une entité potentiellement héroïque ou criminelle en fonction de la présence ou de l'absence de guide. » (
page 55). Quant à l'inévitable question du meneur dans la fonction même de la foule elle apporte cette intéressante précision : « A suivre l'analyse de
Freud, il est impossible d'envisager une foule sans meneur, puisqu'il en constitue l'essence même. Naturelle ou artificielle, la foule serait portée spontanément à s'aliéner à un chef, donc à ne plus obéir ni à sa raison ni à son sens critique. Dans les phénomènes de foule se rejouerait toujours la scène originaire de la société humaine dans laquelle le meneur demeure le père redouté, et la foule, assoiffée de soumission, l'entité qui veut être dominée par une puissance souveraine. Sur ce point,
Freud suit les traces des psychologues des foules qui l'ont précédé. En foule, l'individu régresse, il parcourt à rebours l'échelle de l'évolution. L'homme est un "animal de horde", assure-t-il, un être individuel faisant partie d'une horde menée par un chef. La base théorique de cette réflexion, demeure, il le reconnaît, "la supposition de
Charles Darwin selon laquelle la forme originaire de la société humaine serait celle d'une horde soumise à la domination sans limite d'un mâle puissant. » (
page 90).
Elena Bovo, Mécaniques des foules - Des mouvements hors de contrôle ? essai, éditions Armand Colin, 176 pages, 2024
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