Dans un nouvel essai intitulé Pouvoir faire un beau travail - Une revendication professionnelle, le sociologue Jean-Philippe Bouilloud propose une solide réflexion sur le travail, rappelant l'importance de la dimension esthétique dans nos vies, parent - éternellement - pauvre de l'univers professionnel et des médias.
Jean-Philippe Bouilloud est sociologue, professeur à ESCP Business School et chargé de cours à l’université Paris-Cité. Il est vice-président du réseau international de sociologie clinique, membre associé du LCSP (UPC), co-directeur du centre d’études et de recherches sociologiques (ESCP BS), membre du Labex Hastec. Ses travaux et publications portent notamment sur la sociologie de la connaissance scientifique et la sociologie de l'argent [L'invention de la gestion (1994), Argent, valeurs et sentiments (2004, La créativité au travail (2017)]. Dans cet essai clair, érudit et passionnant le sociologue ne se cantonne pas à matérialiser le beau dans un objet ou une production mais plus généralement dans toute activité professionnelle, qui requiert un travail bien fait ou un beau geste. L'angle choisi par l'auteur est particulièrement original car l'esthétique ou l'idée de « beauté » au sens kantien - c'est à dire dans le sens de la gratuité même de l'acte, au-delà d'une quelconque finalité - ne semble pas a priori avoir une place centrale dans le monde du travail. Et pourtant, même si le concept du beau est peu évoqué dans cet essai, l'auteur trouve de nombreux exemples pour illustrer son propos, comme « le travail bien fait » contre la course à la rentabilité ou « la belle ouvrage » contre la standardisation à bas prix. Dans Pouvoir faire un beau travail - Une revendication professionnelle, l'auteur cite de nombreux et intéressants exemples (EPHAD, hôpital...) dans lesquels certains salariés sont tiraillés entre leur idéal de travail bien fait et les injonctions de l'entreprise comme ce « soignant qui passe plus de temps que prévu avec un malade pour lui tenir brièvement compagnie » ou cette «opératrice de plate-forme téléphonique qui résiste aux injonctions de sa hiérarchie pour vraiment résoudre le problème du client qu’elle a en ligne, ou pour lui vendre un service qui correspond vraiment à son intérêt ». Abordée dans les exemples précédents sous l'angle du geste désintéressé, cette notion même de beauté (au sens large) n'a évidemment rien d'évident. Et l'auteur note justement dans son Introduction, soulignant la question difficile de l'esthétique au travail : « Il y a une difficulté supplémentaire : les notions d'esthétique, de sensation et de beauté ont mauvaise presse. Nous sommes dans une période où la notion même de beauté est radicalement remise en cause, où l'art contemporain se revendique d'un concept ou d'une expérience sans convoquer l'esthétique » (page 12). Néanmoins, Jean-Philippe Bouilloud nous rappelle dans son livre la porosité entre monde de l'art et monde du travail, citant l'exemple parlant de la saga d'Apple : « Dans les nombreuses interviews de Steve Jobs, comme dans les articles sur lui ou ses déclarations à la presse, on retrouve le même leitmotiv de l'articulation entre beauté et utilité, où ce n'est pas seulement la "technicité" des produits qui est en jeu, mais aussi la dimension artistique de la conception et de la fabrication des objets » (page 34). Un esthétisme que souvent organisations et management mettent en avant, par exemple à travers l'aménagement de bureaux ou le design d'espaces. Dans cette histoire méconnue des noces étranges entre travail et « sens du beau » (à défaut d'autres termes plus parlants !), du XVIIIe siècle à aujourd'hui, le sociologue explore - entre autres - la place particulière de la figure de l'artisan entre art et industrie. Il nous rappelle par exemple que son statut se dégrade avec la mécanisation progressive des activités, et surtout qu'il n'est plus impliqué sur le plan cognitif et sensoriel avec le matériau de l'oeuvre. Pouvoir faire un beau travail - Une revendication professionnelle analyse aussi la «souffrance esthétique » du travailleur, parallèlement à la perte de sens qu'entraîne l'impossibilité d'un beau travail. Ainsi, l'auteur cite notamment plusieurs extraits significatifs d'ouvrages de Robert Linhart et de Georges Navel, racontant chacun leurs différentes et douloureuses expériences professionnelles. Jean-Philippe Bouilloud conclut ainsi cet essai à la fois incisif, érudit et humaniste :
Jean-Philippe Bouilloud est sociologue, professeur à ESCP Business School et chargé de cours à l’université Paris-Cité. Il est vice-président du réseau international de sociologie clinique, membre associé du LCSP (UPC), co-directeur du centre d’études et de recherches sociologiques (ESCP BS), membre du Labex Hastec. Ses travaux et publications portent notamment sur la sociologie de la connaissance scientifique et la sociologie de l'argent [L'invention de la gestion (1994), Argent, valeurs et sentiments (2004, La créativité au travail (2017)]. Dans cet essai clair, érudit et passionnant le sociologue ne se cantonne pas à matérialiser le beau dans un objet ou une production mais plus généralement dans toute activité professionnelle, qui requiert un travail bien fait ou un beau geste. L'angle choisi par l'auteur est particulièrement original car l'esthétique ou l'idée de « beauté » au sens kantien - c'est à dire dans le sens de la gratuité même de l'acte, au-delà d'une quelconque finalité - ne semble pas a priori avoir une place centrale dans le monde du travail. Et pourtant, même si le concept du beau est peu évoqué dans cet essai, l'auteur trouve de nombreux exemples pour illustrer son propos, comme « le travail bien fait » contre la course à la rentabilité ou « la belle ouvrage » contre la standardisation à bas prix. Dans Pouvoir faire un beau travail - Une revendication professionnelle, l'auteur cite de nombreux et intéressants exemples (EPHAD, hôpital...) dans lesquels certains salariés sont tiraillés entre leur idéal de travail bien fait et les injonctions de l'entreprise comme ce « soignant qui passe plus de temps que prévu avec un malade pour lui tenir brièvement compagnie » ou cette «opératrice de plate-forme téléphonique qui résiste aux injonctions de sa hiérarchie pour vraiment résoudre le problème du client qu’elle a en ligne, ou pour lui vendre un service qui correspond vraiment à son intérêt ». Abordée dans les exemples précédents sous l'angle du geste désintéressé, cette notion même de beauté (au sens large) n'a évidemment rien d'évident. Et l'auteur note justement dans son Introduction, soulignant la question difficile de l'esthétique au travail : « Il y a une difficulté supplémentaire : les notions d'esthétique, de sensation et de beauté ont mauvaise presse. Nous sommes dans une période où la notion même de beauté est radicalement remise en cause, où l'art contemporain se revendique d'un concept ou d'une expérience sans convoquer l'esthétique » (page 12). Néanmoins, Jean-Philippe Bouilloud nous rappelle dans son livre la porosité entre monde de l'art et monde du travail, citant l'exemple parlant de la saga d'Apple : « Dans les nombreuses interviews de Steve Jobs, comme dans les articles sur lui ou ses déclarations à la presse, on retrouve le même leitmotiv de l'articulation entre beauté et utilité, où ce n'est pas seulement la "technicité" des produits qui est en jeu, mais aussi la dimension artistique de la conception et de la fabrication des objets » (page 34). Un esthétisme que souvent organisations et management mettent en avant, par exemple à travers l'aménagement de bureaux ou le design d'espaces. Dans cette histoire méconnue des noces étranges entre travail et « sens du beau » (à défaut d'autres termes plus parlants !), du XVIIIe siècle à aujourd'hui, le sociologue explore - entre autres - la place particulière de la figure de l'artisan entre art et industrie. Il nous rappelle par exemple que son statut se dégrade avec la mécanisation progressive des activités, et surtout qu'il n'est plus impliqué sur le plan cognitif et sensoriel avec le matériau de l'oeuvre. Pouvoir faire un beau travail - Une revendication professionnelle analyse aussi la «souffrance esthétique » du travailleur, parallèlement à la perte de sens qu'entraîne l'impossibilité d'un beau travail. Ainsi, l'auteur cite notamment plusieurs extraits significatifs d'ouvrages de Robert Linhart et de Georges Navel, racontant chacun leurs différentes et douloureuses expériences professionnelles. Jean-Philippe Bouilloud conclut ainsi cet essai à la fois incisif, érudit et humaniste :
« La préoccupation esthétique doit aussi être un impératif éthique, une catégorie morale pleinement reconnue, car elle concerne chacun dans l'univers du travail. Le beau est un droit moral. »
Jean-Philippe Bouilloud, Pouvoir faire un beau travail - Une revendication professionnelle, éditions Erès, collection Sociologie clinique, 160 pages, 2023
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