lundi 3 mai 2021

Les statues de la discorde



Dans Les statues de la discorde, l’historienne Jacqueline Lalouette propose un essai d’histoire immédiate où elle tente une analyse, à chaud, des multiples actions à l’encontre de certains monuments, les replaçant dans les débats actuels et polémiques sur la colonisation, l'esclavagisme ou le racisme. Particulièrement bien documenté avec de nombreuses notes l'ouvrage Les statues de la discorde évoque donc le contexte politique et social bien particulier dans lequel de nombreuses statues furent vandalisées soit taguées, souillées ou purement détruites. L'essai de Jacqueline Lalouette est d'autant plus intéressant qu'il s'inscrit à la lisière de thèmes de pleine actualité comme le post-colonialisme, l'histoire des traites ou encore les questions mémorielles.

© Tirkreol.re.

François Mahé de La Bourdonnais
Dans les premiers mois de 2020, les militants antiracistes de La Réunion se servirent de sa statue, oeuvre de Louis Rochet inaugurée le 15 août 1856, pour amener François Mahé de La Bourdonnais, ancien gouverneur des Mascareignes, à confesser lui-même, post-mortem, son racisme. Le Barachois, Saint-Denis (La Réunion).

Ces dernières, entre autres, ont été ravivées en cette année de bicentenaire de la mort de Napoléon à qui l'on reprocha d'avoir rétabli l'esclavage, alors qu'il avait été aboli sous la Révolution. Déjà durant l'été 2020 une statue de Napoléon avait été vandalisée à La Roche-sur-Yon (Vendée). Ce n'était sans doute pas un simple hasard car le printemps et l'été 2020 ont été le cadre de nombreuses agressions contre les statues en lien direct avec les évènements liés à l'assassinat de George Floyd et la médiatisation sans précédent - partout dans le monde - du mouvement Black Lives Matter. (Tout l'ouvrage de Jacqueline Lalouette semble d'ailleurs confirmer cette tendance.) Au Royaume-Uni, le mouvement Black Lives Matter, qui a commencé par jeter dans le port de Bristol une statue du marchand d’esclaves Edward Colston, a donné lieu à la naissance d’une véritable organisation visant à « déboulonner les racistes » en créant une propre carte interactive des tyrans.

© Archives Sud Ouest/Stéphanie Claude
Avec l'aimable autorisation des artistes AdnX et Klemere.

Maréchal Bugeaud
Tirez sur la corde, ou comment les artistes ADNX et Klemere ont invité les habitants de Périgueux à faire descendre le maréchal Bugeaud, oeuvre d'Augustin Dumont inaugurée le 5 septembre 1853, de son piédestal. Place Bugeaud, Périgueux (Dordogne).

Partout dans le monde des groupuscules se sont développés s'acharnant spécialement contre les statues glorifiant « de grands hommes blancs », rendus responsables de tous les maux de la civilisation blanche (esclavage, colonialisme, racisme). Outre Napoléon, le roi des belges Léopold II figure en bonne place de ces actions coup de poing pour son rôle politique et discriminatoire au Congo. Depuis plusieurs années sa statue équestre à Bruxelles est régulièrement taguée par plusieurs collectifs. Ces manifestations médiatiques sont d'ailleurs souvent orchestrées dans un climat à la fois théâtral et morbide. Dans son livre Jacqueline Lalouette évoque ainsi l'une d'elles : « Le 8 septembre 2008, l'écrivain belge contestataire Théophile de Giraud commit un « attentat pacifique et chromatique » : une vidéo le montre, vêtu d'un tee-shirt portant l'inscription « Léopold 2 serial killer » , en train d'escalader la grande statue équestre de Bruxelles, puis de recouvrir le corps du roi d'une « gouache rouge sang ».

© Quentin Mabille/Région Hauts-de-France/AFP.
Avec l'aimable autorisation de l'artiste Guy Harbonnier.

Général de Gaulle
Inauguré le 18 juin 2006, le monument du général de Gaulle réalisé par le sculpteur Guy Harbonnier a été doublement vandalisé le 15 juin 2020 : la face du général a été barbouillée de peinture jaune et l'inscription « esclavagiste » tracée au pochoir en lettres capitales de couleur orange sur la face postérieure du piédestal. Place Charles de Gaulle, Hautmont (Nord).

Lancée le 2 juin 2020, une pétition demandant le retrait de toutes ses statues recueillit 38 500 signatures » (page 27). Parmi ces nombreuses statues de la discorde figurent évidemment en première place les monuments à la gloire des figures de la colonisation comme ceux du maréchal Bugeaud, du général Faidherbe et des maréchaux Gallieni et Lyautey. Au cours de ce fameux chaud printemps 2020 le monument parisien dédié à Gallieni subit plusieurs tags. Dans Les statues de la discorde, l'auteure rappelle que le 16 juin plusieurs activistes grimpèrent pour jeter un voile noir sur l'effigie de Gallieni. Quant à la statue lilloise de Faidherbe, le même mois, elle fut taguée en lettres rouges où furent inscrits les mots « colons et assassins » , et en lettres blanches les noms « Sénégal », « Algérie » et « Kabylie ». (Le monument fut de nouveau vandalisé le mois suivant.) Curieusement, ces agressions contre les monuments n'épargnent pas plus certaines figures emblématiques de l'histoire comme Victor Schoelcher. Ce dernier fut pourtant entouré d'un halo mythique pour son rôle majeur dans l'abolition de l'esclavage. En 1949, sur une initiative du sénateur Gaston Monnerville, métis originaire de Guyane, la France transféra au Panthéon ses cendres en reconnaissance de son action en faveur des esclaves.

© Julien Chauvet/Ville de La Rochelle.
© ADAGP, Paris 2020

Toussaint Louverture
Ousmane Sow a représenté Toussaint Louverture semblant méditer à la lecture du texte de la Constitution qu'il a rédigée pour Saint-Domingue. Cette statue polychrome, très expressive, a été inaugurée le 20 mai 2015 dans la cour du Nouveau Monde de La Rochelle (Charente-Maritime).

De nombreux monuments sont dédiés à sa mémoire, notamment en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane. Pour justifier les dégradations de ses statues les déboulonneurs évoquent généralement la réécriture paternaliste du roman national des anciens colons ou encore arguent du fait que la figure de Schoelcher aurait en fait éclipsé le rôle des propres esclaves dans leur lutte contre l'oppresseur blanc. Jacqueline Lalouette évoque également toutes les solutions envisagées et concrétisées par l'Etat ou les municipalités à la suite de ces nombreuses et récurrentes dégradations. Il y a le retrait pur et simple des statues.

Victor Schoelcher © DR

Victor Schoelcher
La destruction du monument en marbre en hommage à Victor Schoelcher devant le palais de justice de Fort-de-France (Martinique) a ouvert le cycle de la fièvre iconoclaste française de l'année 2020. Le 22 mai, les statues du grand abolitionniste et de la jeune esclave sculptée à ses côtés ont été précipitées au sol et s'y sont brisées. 

Elles végètent alors dans des musées, devenus des sortes de lieux pacifiés de stockage idéologique. L'on s'inscrit aussi actuellement dans une politique culturelle de nouvelles statues, mettant en avant de nouveaux héros identitaires. Installée en 2015 au musée du Nouveau Monde de La Rochelle la statue de Toussaint Louverture, créée par Ousmane Sow, en est un bon exemple. On envisage aussi le changement des plaques et de nouveaux panneaux informatifs à proximité des statues polémiques. Instructif et bien documenté l'ouvrage Les statues de la discorde met en exergue la multiplication, ces dernières années, des vifs débats identitaires autour des statues. 

Jacqueline Lalouette, Les statues de la discorde, éditions Passés composés, 240 pages, 2021

* photos et légendes provenant de l'ouvrage Les statues de la discorde
























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