Dans Henri Storck et les peintres ostendais Patrick Vanslambrouck analyse la dimension puissamment artistique du cinéma de Henri Storck (1907-1999). Passionnant et richement illustré d'archives photographiques, ce court livre constitue aussi un intéressant témoignage sur l'amitié et la connivence artistique entre Henri Storck et trois peintres belges majeurs du XXe siècle : James Ensor (1860-1949), Léon Spilliaert (1881-1946) et Constant Permeke (1886-1952). Au début des années 30 Henri Storck devint l'un des pionniers du cinéma documentaire, avec notamment Misère au Borinage, coréalisé avec Joris Ivens en 1933. Considéré aujourd'hui comme le père du cinéma belge, Henri Storck fut aussi un photographe de talent. Et le livre de Patrick Vanslambrouck comprend de nombreux portraits d'Ensor et de Spilliaert. Dans Henri Storck et les peintres ostendais l'auteur - spécialiste de l'oeuvre de Henri Storck - explore la fascination du cinéaste pour l'univers de l'art, l'influence qu'elle exerça sur son travail cinématographique et son rapport étroit avec ces trois peintres. L''auteur nous raconte le parcours atypique de Storck, très tôt stimulé par des liens amicaux et familiaux. En effet, de nombreux grands peintres vivaient à Ostende. Et parmi eux Ensor, Spilliaert et Permeke venaient se ravitailler dans le magasin de chaussures de luxe des parents du réalisateur. L'auteur note que « Storck se rend dans leurs ateliers, chaque semaine, à jours et à heures fixes ». Par ailleurs sa tante (Blanche Hertoge) avait une galerie d'art, qui exposait les tableaux d'Ensor tandis que son tuteur - à la mort de son père Henri Storck avait 16 ans !-le docteur Victor De Knop, était très lié au milieu artistique d'Ostende. Dans son livre Patrick Vanslambrouck apporte cette intéressante précision sur cet esthète qui peignait lui-même, mais en amateur et dont la vraie profession était le cinéma : « L'oeuvre de Storck couvre à peu près tous les thèmes abordés dans le langage cinématographique : poésie, politique, folklore, ethnographie, fiction, jeunesse, industrie... Mais cet homo cinematographicus au champ d'intérêt fabuleusement large était avant tout un homme de l'art.» (page 17). En effet, l'art n'est jamais très loin de son cinéma, qui comprend de nombreux documentaires sur l'art. Il consacre deux films à Paul Delvaux. Avec le critique d'art Paul Haesaerts il tourne Rubens. Et ses films sur l'art puisent en partie dans le bain artistique de ses débuts (Félix Labisse, Constant Permeke). Dans son premier film Images d'Ostende (1929) Storck aborde les dunes, le port, les vagues avec un œil d'artiste. Quant à Une idylle sur le sable (1931) qui a pour cadre la Mer du Nord l'on devine encore l'inspiration picturale et poétique à travers ses jeux et ses plans - pluie, sable, soleil, mains, cheveux varechs, vêtements... (Sur le site de la Fondation Henri Storck on peut lire que « le court métrage Dekeukeleire fait figure de pionnier du film sur l’art ; il confronte les personnages vivants et les sites de la peinture flamande et wallonne avec la réalité qui a inspiré les oeuvres.» Entrecroisement donc permanent entre art, cinéma et réalité comme dans Réunion d'artistes (1845) dont l'auteur apporte cette précision : « C'est un film estival sur une rencontre chaleureuse dans le jardin de la mère de Storck à Uccle-Calevoet, avec Spilliaert, Paul Delvaux, Edgar Tytgat, et les frères Paul et Luc Haesaerts » (page 78). Puis plus loin : «La Joie de revivre (1947), un film de Storck sur le réveil du littoral après le désastre de la Deuxième Guerre mondiale. C'est à la même époque, en 1947, que Storck fait pour la première fois les portraits d'Ensor et de Spilliaert dans d'étonnantes photographies en noir et blanc. » (page 79). Basé sur des sources écrites existantes, de nombreuses conversations et des interviews qu'Henri Storck avait conservées sur cassette (numérisées par l'auteur) le livre Henri Storck et les peintres ostendais nous rend très vivant ce visionnaire du cinéma, qui a inspiré de nombreux cinéastes belges comme les frères Dardenne. Dans l'avant-propos du livre Raoul Servais (1928-2023) rappelle ainsi la puissante connexion entre Storck, Ostende et les artistes en général :
« Bien qu'il ait vécu à Bruxelles [Storck], il était encore, à un âge avancé, un ''phare'' pour de nombreux artistes ostendais (même le chanteur Arno lui rendait visite) et - très curieusement - tout ce qui venait de sa ville natale était accueilli positivement par la critique. C'était un artiste raffiné, et un être humain délicieux.»
Patrick Vanslambrouck, Henri Storck et les peintres ostendais - Ensor, Spilliaert et Permeke, Art/Cinéma, broché, grand format, éditions Snoeck, 94 pages, 2024
Avant-propos de Raoul Servais
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