lundi 10 mai 2021

Le fantôme du cinéma français - Gloire et chute de Bernard Natan


Dans une biographie étonnante Philippe Durant ressuscite le génial et controversé Bernard Natan (1886-1942), l'un des producteurs les plus importants du cinéma français de l'entre deux-guerres, qui connut un destin tragique.

Critique de cinéma, Philippe Durant est l'un des meilleurs connaisseurs de l'histoire du cinéma populaire. Dans un livre au style direct et imagé, intitulé   Le fantôme du cinéma français - Gloire et chute de Bernard Natan, l'auteur tente de percer le mystère de cet émigré d'origine roumaine, parti de rien, qui à 34 ans parvient à fonder sa première société de production cinématographique.

Bernard Natan, l'un des producteurs les plus importants du cinéma français de l'entre-deux-guerres.

La gloire ?   En 1929, il acquiert Pathé, la plus grande compagnie de France. Entrepreneur avant-gardiste et intuitif il  construit patiemment un large réseau de salles de cinéma, modernise les studios et les salles pour les adapter au cinéma parlant. Il produira plus de 65 longs-métrages. Parmi eux des classiques du cinéma populaire français comme La Croisière jaune, La vie merveilleuse de Jeanne d'Arc ou encore Les Misérables, immortalisé par Harry Baur. La publicité est aussi une de ses spécialités.

Bernard Natan, en compagnie du réalisateur Henri Diamant-Berger, l'un des piliers de la firme Pathé-Natan et de son frère Emile Natan.

Malin, l'homme a l'idée d'amener la réclame au coeur  même des salles de cinéma. Comme le fait remarquer Philippe Durant dans son livre : « Il [Bernard Natan]  sait  qu'un film est, dans le meilleur des cas, un objet artistique et, dans tous les cas, un  un produit qu'il faut savoir vendre ». Il a à coup sûr un  certain génie pour les coups médiatiques. Opportuniste il flaire ce que le public attend  comme en  1929, période de ferveur commémorative, où sa société Pathé-Natan acquiert les droits du roman de Roland Dorgelès  Les Croix de Bois  auprès d’Albin Michel pour 14000 francs. 

La vie merveilleuse de Jeanne d'Arc, avec Simone Genevois, un des premiers grands succès de Bernard Natan en 1927.

Tous ces succès évidemment suscitent des jalousies. L'un des mérites de l'ouvrage de Durant est de montrer clairement le revers de ce succès, se plongeant dans l'histoire et les mentalités de l'époque à bien des égards vindicatives.  Son livre rappelle les violentes campagnes de presse contre lui comme celle du magazine Détective collaborant activement  à sa réputation de financier pornocrate et d'escroc international.  

Bernard Natan, son épouse et ses filles aux studios de la rue Francoeur.

Voici par exemple comment en 1943, Maurice Bardèche et Robert Brasillach, décrivaient dans leur « Histoire du cinéma » celui qui en fut l'un des hommes clefs: « A la suite de manoeuvres assez ténébreuses, un petit Juif roumain parvient à circonvenir le vieux Charles Pathé et à acheter les actions qui lui assurent la majorité dans ses différentes affaires. La plus grande maison française de cinéma devenait la propriété d'un escroc chafouin et clignotant, qui était surtout connu pour avoir tourné avec profit des films pornographiques. [...] Dix ans de faillites, de cavalerie, de jeux d'écriture, d'escroqueries de tous poils et de toutes dimensions furent désormais l'histoire de la maison Pathé-Natan. »

Bernard Natan icône de l'antisémitisme de Vichy, ici à l'exposition Le Juif et la France (1941-1942).

Les conséquences économiques de la Grande Dépression, les procès, les attaques sans répit de la presse française d'extrême droite et le climat d'antisémitisme auront finalement raison de Bernard Natan,  En1935 Pathé tombe en banqueroute, les autorités inculpent Natan pour escroquerie. Il deviendra «le Juif le plus haï de France ». Déchu de sa nationalité, il sera livré aux Allemands, et déporté le 25 septembre 1942 à Auschwitz-Birkenau où il est assassiné peu après.

Bernard Natan lors de son procès en 1941.

Outre l'intéressant livre de Philippe Durant l'on signalera l'ouvrage Pathé-Natan. La véritable histoire, par André Rossel-Kirschen, neveu du producteur, et Natan, un documentaire irlandais de Paul Duane et David Cairns qui réhabilite ce magnat,  pionnier du cinéma. On signalera aussi Le fantôme de la rue Francœur - Ou la mise à mort d'un géant du cinéma français (2018), film documentaire de Francis Gendron.

Philippe Durant, Le fantôme du cinéma français - Gloire et chute de Bernard Natan, biographie, éditions La  manufacture de livres, collection « Documents »,  cahier-photos 8 pages couleurs, 192 pages, 2021






















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