lundi 13 octobre 2025

La France made in USA


Dans La France made in USA, Arthur Genre mène une enquête passionnante sur les modes d'implantation des produits américains de notre côté de l'Atlantique.
A la lecture instructive de ce livre truffé d'informations l'on se rend compte que dès le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale  cette américanisation s'est infusée dans tous les ports de la société française et que l'on n'a même plus forcément conscience de cette réalité-là.  Dans nos rues, dans nos paroles, dans nos assiettes, dans la manière de nous habiller, dans notre façon de consommer la musique…, même si elle touche différemment toutes les catégories sociales, l’attraction américaine est toujours plus visible en France. Objet de rejet, de vénération ou  d'indifférence cette américanisation de nos modes de vie est décortiquée de long en large à travers ses multiples codes  culturels, sociaux, économiques,  publicitaires.  Dans   La France made in USA Arthur Genre  nous propose un passionnant voyage sociologique qui explore la relation complexe entre la France et les Etats-Unis. Il nous convie à découvrir une histoire tumultueuse pleine de rebondissements et souvent méconnue, celle de la fulgurante implantation de l'american  way of life et de ses rites culturels et marketing dans nos vies. Il   nous explique comment depuis près d'un siècle    les politiques et les industriels français  lui ont dressé un pont d'or ou au contraire cherché à inverser sa logique consumériste. A travers de nombreux exemples,      l'auteur nous décrit aussi    les réactions mitigées de la population française,  mélange de rejet et de fascination,  face à cette hégémonie yankee.  L'intrusion dans le paysage urbain des fast-food (synonyme de mal bouffe), l'invasion de l'Irak,  l'omniprésence de la  culture de masse américaine, des soaps et blockbusters en passant par le rock'nroll des années 60  et l'essor des plateformes numériques...  Dans   La France made in USA le journaliste analyse ces multiples frictions d'ordre politique et culturel, nous rappelant que l'idée de menace civilisationnelle, véhiculée par l'antiaméricanisme, ne date pas d'hier mais de la fin du XIXe siècle, période qui voit les USA devenir la première grande puissance mondiale détrônant une Europe déchirée :   « Une fois les Etats-Unis ayant accédé à ce  statut [première puissance], plus personne ne put les ignorer. A quoi les peuples du vieux continent réagirent diversement : certains en furent profondément blessés dans leur ego, d'autres au contraire furent submergés d'admiration face à cette leçon d'énergie.  En tout cas, nul n'était plus indifférent à la question, particulièrement en France », note Arthur Genre dans son livre   (page 43).  (Plus surprenant, cette idée de menace civilisationnelle  est abondamment relayée dans les années 30 par    les intellectuels les plus influents comme Stefan Zweig ou Paul Valéry.)      L'exemple du cinéma français et de sa confrontation avec l'industrie d'Hollywood se profile caractéristique de ces nombreuses frictions aux contours culturels et économiques entre les deux pays.     Bien avant même  l'idée d'exception culturelle - [concrétisée en 1993 par l’Union européenne qui décide, notamment à l’instigation de la France, l’instauration d’un statut spécial pour les œuvres et la production audiovisuelles visant à les protéger des règles commerciales de libre-échange] -  des voix hexagonales s'insurgent dans l'entre-deux-guerres contre l'invasion des productions américaines, notamment au cinéma. L'auteur rappelle ainsi l'effondrement de la production cinématographique française  durant le premier conflit mondial qui offre ainsi un pont d'or au cinéma hollywoodien :   «  Dès l'armistice  les films américains (mélodrames, westerns ou comédies burlesques) inondent alors les écrans français. Les stars américaines comme Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks ou Mary Pickford deviennent les idoles du public français, et Paris se passionne pour les aventures à sensation importées du Nouveau Monde » (page 79). Genre consacre une importante partie du livre aux enseignes commerciales.  Les grandes marques comme Coca-Cola, Disney, Apple, Levi's, Starbucks, McDonald's...  sont analysées  et La France made in USA  rappelle leur implantation mouvementée en France.  Quant au nombre d'appareils électroménagers,  il est  multiplié par cinq de 1949 à 1957.  Les années 50 voient aussi l'essor incroyable de la télévision qui s'invite dans les foyers français.  Dans ce contexte de   production industrielle de masse très liées avec les techniques de psychologie des masses  les pratiques de la grande distribution retiennent l'attention comme   « les Méthodes marchandes modernes » d'un certain Bernado Trujillo (Colombien naturalisé américain) dont les conférences attirent des entrepreneurs français d'envergure.  A son propos l'auteur écrit : « Il y prône la construction de vastes supermarchés proposant des produits abordables et dotés  de parkings spacieux. Il est particulièrement populaire en France, où on le surnomme le "Pape des supermarchés", et plus de 2 000 Français traversent l'Atlantique pour participer à ses séminaires. Parmi eux, Marcel Fournier et les frères Defforey, fondateurs de Carrefour, Gérrard Mulliez, fondateur d'Auchan ou André Essel, fondateur de la Fnac.  » Les dernières pages du livre sont consacrées à l'Internet et à l'ascension des GAFAM. changeant profondément les usages de la vie quotidienne.  A travers ses principales têtes de gondole que sont Amazon, Google, Apple, Facebook, Microsoft La France made in USA  interroge leur pouvoir apportant la nuance suivante : « Les GAFAM dépensent collectivement plus de 64 millions de dollars en lobbying auprès du gouvernement américain, somme qui dépasse les budgets diplomatiques de nombreux pays. Ne s'agit-il pas, plutôt que d'une américanisation, d'une globalisation dominée par quelques géants que même Washington ne parvient pas à contrôler ?  » 

Arthur Genre, La France made in USA, broché, grand format, Société,  éditions DBS, 314 pages, 2025


A lire :

 Portraits types des Français sur trois siècles, de Marie-Odile Mergnac

Jean-Philippe Bouilloud, Pouvoir faire un beau travail - Une revendication professionnelle, éditions Erès, collection Sociologie clinique, 160 pages, 2023

Jonathan Siksou, Vivre en ville

Dominique Massoni, Le monde des bureaux - Rencontre littéraire avec les employés aux écritures, ces héros minuscules, invisibles et transparents,  éditions L'Harmattan, collection « Espaces littéraires », 170 pages, 2023

Jacqueline Lalouette, Les statues de la discorde, éditions Passés composés, 240 pages, 2021

François Saltiel, La société du sans contact - Selfie d'un monde en chute, éditions Flammarion,  224  pages - 135 x 221 mm, broché, 2020
Julie Barlow, Jean-Benoît NadeauAinsi parlent les Français - Codes, tabous et mystères de la conversation à la française, traduit de l'anglais par Julie BarlowJean-Benoît Nadeau, éditions Robert Laffont, 396 pages, 2018

Gilles-William Goldnavel, Névroses médiatiques Le monde est devenu une foule déchaînée, essai, éditions Plon, « collection Tribune libre », 252 pages, 2018

Francis Balle, Le Choc des incultures, éditions l’Archipel, 144 pages, 2016
Jean-Marie DurandLe Cool dans nos veines - Histoire d’une sensibilité, éditions Robert Laffont, 218 pages, 2015

Vincent Mangematin, avec Chloé DégrésMargot Junières et Elise LedureLes business models du célibat, éditions Temporis, 133 pages, 2015

Marcelo FredianiSur les routes – Le phénomène des New Travellers, éditions Imago, 261 pages, 2009


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