Les chiffonniers de Paris : Asnières, Colombes, Argenteuil, St-Ouen, Gennevilliers, St-Denis

Facilement reconnaissables avec leurs hottes et leurs charrettes à bras, les chiffonniers ont longtemps fait partie de la vie parisienne et banlieusarde. Dans un ouvrage à l'iconographie riche et intitulé Les chiffonniers de Paris : Asnières, Colombes, Argenteuil, St-Ouen, Gennevilliers, St-Denis l'auteur et conférencier Luc Corlouër nous invite à découvrir l'insolite et passionnante histoire de ces immigrés bretons de la « zone » chargés de récupérer les ordures de la capitale.

L'ouvrage de Luc Corlouër, par ailleurs auteur de romans et d'essais historiques, se révèle d'autant plus intéressant qu'il décrit la vie des biffons tout en adoptant une approche historique, sociale, urbanistique et économique.

Dès le XIXe siècle les Bretons formaient déjà un important contingent de terrassiers pour les Grands Travaux du baron Haussmann, ceux des chemins de fer, de la basilique du Sacré-Coeur à Montmartre et  un peu plus tard ceux du métro parisien. Cependant, les terrassiers étaient dans la hiérarchie sociale au-dessus des chiffonniers. Et de nombreux Bretons n'ayant pu être embauchés dans ces grands chantiers choisirent cette profession peu considérée   et s'installèrent dans les quartiers proches de la gare Montparnasse. 

Si sous le Second Empire la corporation des chiffonniers est à son apogée, les ordures de la capitale étant déposées à même le sol ce qui facilite leur récupération par les biffins, elle connaît en revanche de nombreuses péripéties sur près d'un siècle. L'auteur note : « En 1900, le ramassage des chiffons, ferrailles et autres peaux de lapin est toujours d'actualité dans Paris, même si les biffons sont bien moins nombreux. On retrouve quand même des chiffonnières dans leurs carrioles au milieu des peilles ou peillons qui seront utilisés pour la fabrication de la pâte à papier. » (page 62).

Déjà l'instauration obligatoire des poubelles en 1883 par le préfet du même nom  avait secoué le monde des biffins. Luc Corlouër écrit : « L'arrêté du préfet Poubelle fera tanguer la profession, car il lançait un nouveau concept : le tri sélectif à Paris ! Trois conteneurs devenaient obligatoires : un pour les déchets putrescibles, un autre pour les papiers, bois et chiffons et un troisième pour verre, vaisselle et coquillages. Le nombre d'habitants de Paris ne permettait plus l'artisanat, les travaux d'Haussmann avaient construit de nombreux immeubles collectifs rendant indispensable l'organisation d'un ramassage régulier.  » (pages 140-141). 

Dans ce livre instructif, parcouru d'images souvent inédites de chiffonniers,  d'extraits choisis du roman de Luc Corlouër, La Chapelle des Chiffonniers  [éditions Feuillage, 2020] et de repères sociologiques l'on découvre aussi un portrait plus nuancé de cette corporation pauvre et victime de stéréotypes. (Pour les besoins du livre l'auteur, qui travaille depuis près de 30 ans  sur l'histoire des chiffonniers en général et ceux d'Asnières en particulier  a rencontré   des témoins, descendants de familles de chiffonniers ou ayant été proches de la corporation.) 

A Asnières par exemple un certain abbé Eugène fonda une communauté  dont le but était de répondre aux besoins des familles de chiffonniers tout en impliquant ces derniers.  Les enfants notamment, ces  « herbes folles » faisaient leur apprentissage de la vie dans la rue même suivant les pas de leurs parents. Outre qu'il nous renseigne sur une part méconnue et lointaine de la vie parisienne le livre  Les chiffonniers de Paris : Asnières, Colombes, Argenteuil, St-Ouen, Gennevilliers, St-Denis,  nous rappelle aussi  paradoxalement que   certaines pratiques contemporaines de réutilisation et de recyclage. ne sont pas nouvelles.

Luc Corlouër, Les chiffonniers de Paris : Asnières, Colombes, Argenteuil, St-Ouen, Gennevilliers, St-Denis, broché, Histoire/Sciences humaines & sociales, éditions Le Cormoran, collection Horizons, 202 pages (nombreuses illustrations), 2024