Rue Pirouette, Paris Ier,
de la rue Rambuteau (1865-1868)
Charles Marville © Paris Musées/ Musée Carnavalet
Marville travaille à Paris pendant plus de vingt années qui ne sont pas neutres dans l’histoire de la Ville: ce sont celles où Haussmann et son équipe transforment la vieille cité médiévale, la percent en tous sens et la remodèlent pour en faire une capitale moderne. Les photographies de Marville fixent pour l’éternité, avant leur démolition, les rues de Hugo et d’Eugène Sue. Son Album du Vieux-Paris, regroupant 425 vues de rues, constitue donc un témoignage documentaire exceptionnel. Nous commentant 100 photos de ce Vieux Paris, le livre de François Besse emmène le lecteur dans les pas de Marville dont le charme et l’intérêt des créations n’échapperont ni aux historiens ni aux urbanistes, encore moins aux promeneurs amoureux de Paris.
Rue de Breteuil, Paris IIIe,
de la Rue Réaumur (1865-1867)
Charles Marville © Paris Musées/ Musée Carnavalet
Au-delà de l'aspect purement documentaire couvrant les 20 arrondissements de la capitale l'on est surpris par le raffinement et l'essence esthétique du travail photographique de Marville, qui est réputé oeuvrer tôt le matin ou en fin de journée quant la lumière est rasante et découpe ses ombres. Par un certain éclairage ou un luxe de détails, chaque rue témoigne ainsi de son cachet comme la rue Mouffetard (5e) envahie de placards publicitaires signalant la présence d'artisans locaux ou la rue Champlain (20e) où l'on voit un jeune ouvrier contempler les échafaudages entourant le clocher de l'église Notre-Dame-de-la-Croix, place de Ménilmontant, dont la construction ne sera achevée qu'en 1880.
de la rue de la Licorne (1865-1866)
Charles Marville © Paris Musées/ Musée Carnavalet
Parfois, un détail insolite vient contredire l'apparente monotonie des lieux, comme cette vue de la rue de Breteuil (3e), cadrée par les deux maisons Au Grand-Turenne et Grandin. L'on peut y voir un calicot tendu sur la façade de la première, nous apprenant que « pour cause d'expropriation » la vente de vêtements de travail est transférée à quelques centimètres, au 209, rue Saint-Martin. L'ensemble de ces photos dégage un réalisme crépusculaire et énigmatique par leur entrelacement poétique et urbain. Et dans leur luminosités blafarde ou leur atmosphère toute provinciale ces photos comme celle de la rue Chanoinesse (4e), de la rue du Rocher (8e) ou de la rue Croulebarde (13e) peuvent rappeler certains décors cinématographiques parisiens d'Alexandre Trauner pour des réalisateurs comme Carné ou Grémillon.
dela place Maubert (1865-1868)
Charles Marville © Paris Musées/ Musée Carnavalet
Dans son introduction de Charles Marville - Une mémoire du Vieux Paris, l'auteur François Besse formule précisément ce trouble par rapport à l'histoire et à son patrimoine que l'on peut ressentir à la vue de ces photos datant de près de 150 ans : « C'est presque une ville fantôme qu'il nous est donné de contempler. La vie n'en est pas absente si on en juge aux boutiques ouvertes, aux objets déposés le long des murs, aux voitures de livraison attendant leur cocher, aux cages à oiseau aux fenêtres... mais peu de personnages sont visibles si ce n'est sous la forme d'ombres trahissant des silhouettes dont le mouvement n'a pas laissé le temps à la plaque de les enregistrer. » (page7).
Rue du Rocher, Paris VIIIe,
de la rue Saint-Lazare (1865-1868)
Charles Marville © Paris Musées/ Musée Carnavalet
Comme le feront plus tard, entre 1910 et 1937, les anonymes opérateurs des Archives de la Planète missionnés par le fonds photographique Albert Kahn Charles Marville nous lègue à travers ces 100 photographies un témoignage unique du patrimoine parisien de nos rues !
Rue Neuve Coquenard, Paris IXe,
de la rue Lamartine (1865-1867)
Charles Marville © Paris Musées/ Musée Carnavalet
Comme l'écrit justement Philippe Lançon à propos de ce projet ambitieux et atypique : « La qualité du travail de Marville vient justement du fait qu'on y sent autre chose : le flottement spatial de tout ce qui échappe à l'exercice du pouvoir qui le commandite. Sa photographie enquête, informe, fait sentir - et imperceptiblement regretter. Le Parisien regrette Paris comme le photographe, peut-être, regrette l'artiste qu'il aurait voulu être. Le document joue avec l'éternité qui lui manque, mais qu'il suggère. »
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