lundi 31 juillet 2023

Une fenêtre sur Tribeca

 

Avec Une fenêtre sur Tribeca Kyle Lucia Wu signe un premier roman américain nostalgique et drôle avec comme toile de fond  le fossé racial et les différences au sein de classes sociales.
Situé dans l'arrondissement de Manhattan, le quartier de Tribeca, est une zone résidentielle à la mode, peuplée de lofts élégants et de restaurants branchés. C'est dans ce lieu, synonyme de confort et d'ascension sociale rapide, que Willa Chen, une jeune femme de père chinois et de mère américaine, trouve un emploi de baby-sitter chez les AdrienUne fenêtre sur Tribeca est le premier roman de Kyle Lucia Wu (née en 1989), qui est directrice du collectif littéraire Kundiman et enseigne la création littéraire. L'on accède facilement à ce livre de près de 300 pages, porté par une langue simple mais entêtante, dans laquelle la narratrice décrit sur le mode intimiste et sur un ton d'humour discret une riche famille américaine upperclass d'aujourd'hui. Il y a Gabe, le père ; Nathalie ;  Bijou, la fille, que l'on devine plutôt capricieuse au fil du livre. Une bonne part de ce savoureux roman, qui met à l'honneur la cuisine, notamment asiatique,  évoque malicieusement  les pérégrinations de Willa et de Bijou à travers un New York des plus dépaysants.  A travers le personnage principal de Willa, ex serveuse et universitaire de 26 ans, l'autrice pose un regard à la fois tendre et sarcastique sur les Adrien, titillant    leur obsession du paraître. Les pages les plus amusantes du livre de Kyle Lucia Wu    sont sans doute celles qui décrivent la nounou, fraîchement élue à ce poste honorifique, honorant minutieusement, en compagnie de Bijou, le strict  cahier des charges de loisirs des Adrien : visites au musée, cours de danse,  activités culinaires et  musicales, apprentissage du mandarin...  Subtilement,  Kyle Lucia Wu pose un regard ingénu et ironique sur ce monde si lisse, sur cet univers familial et professionnel où tout est programmé, de l'apparence physique jusqu'aux loisirs. Ainsi dans ce passage :   « Nathalie  [la mère] me surprenait parfois par sa façon de réagir à certaines choses. On voyait à chaque petit détail qu'elle était une personne impeccable et posée : ses cheveux qui restaient lisses et brillants à tout moment de la journée, son énorme bague de fiançailles qui glissait très légèrement vers la gauche, ses vêtements qui lui allaient toujours parfaitement, comme si elle avait fait ajuster chaque tee-shirt et cardigan à sa silhouette, et qui n'étaient jamais froissés, même quand elle passait des heures assise les jambes croisées.  » (page 87).    Au fil des chapitres s'entrecroisent le quotidien de la baby-sitter et son passé, parfois douloureux, au sein d'une famille recomposée. A travers le personnage de  Willa   Kyle Lucia Wu nous propose une réflexion à la fois acerbe et nuancée sur la cohabitation de classes sociales, voire un questionnement sur le racisme sournois qui peut se faufiler dans une grande ville américaine. Elle souligne aussi la difficulté d'être reconnue en dehors de sa couleur de peau comme dans ce passage éloquent :  « A certains égards, cela me soulageait qu'on ne fasse pas attention à moi. D'habitude, chaque fois que j'allais dans un centre commercial, un cinéma ou une pharmacie CVS, les gens me dévisageaient et me demandaient d'où je venais. Même quand je répondais, Ici, je suis née ici, j'ai vécu toute ma vie dans cette ville, ils persistaient en essayant de deviner. Tu es Philippine ? Mexicaine ? Hawaïenne ? Des inconnus voulaient savoir si j'étais née à l'étranger ou si je parlais une autre langue. Ils tenaient à me dire que je leur rappelais leur manucure, leur gouvernante ou la nouvelle épouse de leur frère.. Parfois, ils juraient qu'ils connaissaient quelqu'un qui me ressemblait comme deux gouttes d'eau, et c'était pour cette raison qu'ils devaient venir me parler. Si je n'avais pas appris que toute autre réaction qu'être poli pouvait les mortifier sur place, alors j'aurais peut être demandé à voir ces gens qu'ils connaissaient et qui me ressemblaient, j'aurais peut être demandé à voir la preuve que je n'étais pas seule. » (page 74). L'écrivaine nous décrit Willa comme une jeune femme ambivalente, à la fois fascinée et séduite par son nouvel environnement social mais aussi en complet  décalage psychologique avec l'univers des Adrien. Au final l'on recommandera ce roman, imprégné de tendresse et de poésie urbaine, pour sa façon décalée et humoristique de questionner la société et ses  petits travers. 

Kyle Lucia Wu, Une fenêtre sur Tribeca, roman, broché, grand format, éditions Mercure de France, collection Bibliothèque étrangère, 291 pages, 2023
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Juliette Bourdin

A lire :

Arnaldur Indridason, Les Nuits de Reykjavik,  roman, éditions Métailié, collection « Bibliothèque nordique - Noir » 264 pages, 2015

Traduit de l’islandais par Eric Boury

Martti LinnaLe royaume des perches, roman, éditions Gaïa, 192 pages, 2013 
Traduit du finnois par Paula et Christian Nabais 

Wilhelm GenazinoUne petite lumière dans le frigo, Christian Bourgois éditeur, 166 pages, 2012 
Traduit de l’allemand par Anne Weber

Tore RenbergCharlotte Isabel Hansen, roman traduit du norvégien par Carine Bruy, éditions Mercure de France, collection « Bibliothèque étrangère », 369 pages, 2011
Traduit du norvégien par Carine Bruy

Bengt Ohlsson, Syster, roman , éditions Phébus, 288 pages, 2011
Traduit du suédois par Anne Karila

Kari Hotakainen, La part de l'homme, roman, éditions JC Lattès, 2011

Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

https://www.lemague.net/dyn/spip.php?article7598

Kim Young-ha, Qu’est devenu l’homme coincé dans l’ascenseur ? Nouvelles traduites du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel, éditions Philippe Picquier, 160 pages, 2011

http://blogdephaco.blogspot.com/2012/02/quest-devenu-lhomme-coince-dans.html#more

Erling Jepsen, L’Art de pleurer en chœur,  roman, Sabine Wespieser éditeur, 312 pages, 2010
Traduit du danois par Caroline Berg

Margriet de MoorUne catastrophe naturelle, roman, éditions Libella - Maren Sell, 336 pages, 2010 
Traduit du néerlandais par Danielle Losman

Kjell Eriksson, La princesse du Burundi, roman,  éditions Gaïa,  collection « Gaïa polar », 352 pages 2009
Traduit du suédois par Philippe Bouquet

Guadalupe Nettel, Pétales et autres histoires embarrassantes, nouvelles,  éditions Actes Sud, 144 pages, 2009
Traduit de l’espagnol (Mexique) par Delphine Valentin

Arnaldur Indridason, Hiver arctique, roman, éditions Métailié, collection  « Bibliothèque nordique Noir,  335 pages, 2009
Traduit de l’islandais par Eric Boury

Leena Lehtolainen,  Un coeur de cuivre, roman, éditions Gaïa, 231 pages, 2009
Traduit du finnois par Anne Colin du Terrail

Riikka Ala-Harja, Le Géant, roman, éditions Gaïa, collection « Catalogue général », 304 pages, 2009. 
Traduit du finnois par Christian et Paula Nabais 

Wilhelm Genazino,  Léger mal du pays, roman,  Christian Bourgois Editeur, 207 pages, 2008
Traduit de l’allemand par Anne Weber
https://www.lemague.net/dyn/spip.php?article5735

Camilla Läckberg, La Princesse des glaces, roman, éditions Actes Sud,  série « actes noirs », 382 pages, 2008

Hella S. Haasse, Des nouvelles de la maison bleue, roman, éditions Actes Sud, collection « Babel », 183 pages, 2008
Traduit du néerlandais par Annie Kroon

https://www.lemague.net/dyn/spip.php?article5730

Einar Mar Gudmundsson, Le testament des gouttes de pluie,  roman, éditions Gaïa, collection « Catalogue général », 249 pages, 2008
Traduit de l’islandais par Eric Boury




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