L’étrangeté de l’intrigue - la disparition d’une femme (Hikka) sur un ponton -, de l’environnement - ici un camping isolé, peuplé de bungalows - et des personnages fait parfois songer au climat réaliste, champêtre et baroque de Camilla Läckberg. Et le ton décalé et caustique de Martti Linna possède la même agréable et désinvolte nonchalance que celle de Leena Lehtolainen, sa compatriote finlandaise. En outre, l’on sent la patte d’un auteur du terroir - avant une carrière de journaliste et d’écrivain, Linna exerçait des travaux agricoles et forestiers - dans ce roman fluide de près de 200 pages à la prose familière et au style élégant. Héros emblématique de cette histoire, le capitaine de police Sudenmaa évolue dans un univers trouble de perches où passion autistique pour la pêche, querelles familiales et secrètes relations amoureuses se télescopent.
Martti Linna
Dans cette surprenante mythologie aquatique, l’on suit les pérégrinations de ce capitaine « ferré » à la fois par le cheminement incertain de son enquête et les soucis de sa vie privée. Dans ce curieux road movie aux relents de lac enchanté et de symphonie de poissons, Linna, qui recourt fréquemment à la métaphore cocasse, semble s’amuser d’un certain mode de vie finlandais comme dans ce passage où il fait dire à un de ses personnages :
[…] cent mille Finlandais mettent le cap sur un lac gelé, poursuivit Nuutinen. Ils se sont levés de bonne heure, ont rempli de café une bouteille thermos et parcourent des dizaines de kilomètres en voiture. Pourquoi ? Pour forer un trou dans la glace. Pour attraper trois perches et deux gardons. Il s’agit de recueillement. De questions existentielles. Et dire que l’Eglise luthérienne se prive d’un tel atout en n’incluant pas la pêche sur le lac gelé dans ses retraites monastiques (page 114).
Le royaume des perches se profile comme un roman savoureux et parfois hypnotique, mixant habilement grands espaces de la nature et problématiques personnelles.
Martti Linna, Le royaume des perches, éditions Gaïa, 192 pages, 2013
traduit du finnois par Paula et Christian Nabais
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