Ecrite en 1864, cette comédie nous entraîne dans le grand tourbillon jubilatoire de Labiche, un des maîtres du vaudeville français du XIXe siècle. Drôle et efficacement rythmée la mise en scène cinématographique de Jahn se profile accrocheuse sans être répétitive. L'histoire de La Cagnotte débute sous le signe du jeu et de l’argent. Un groupe d’amis de La Ferté-sous-Jouarre, se réunissant tous les jeudis depuis des années, décide de casser leur fameuse cagnotte. Récoltant l’argent - et quelques boutons ! -, ils se mettent d’accord pour une fabuleuse épopée : un voyage d’une journée à Paris…
© Shawn Berdah - La Cagnotte - Lucernaire
Malicieusement des airs à la mode de l'époque, interprétés par les comédiens, ponctuent cette expédition burlesque à travers la capitale. (Labiche avait prévu que les chansons qu'il a écrites, et qui parsèment son vaudeville, soient interprétées sur des airs populaires.) La Cagnotte est une redoutable horlogerie comme Un chapeau de paille d’Italie (1851) ou Le Voyage de M. Perrichon (1860), autres œuvres phares de l'auteur. Sous une forme virevoltante mais sans esbroufe, l'efficace mise en scène de Jahn nous familiarise avec cet univers à la fois inexorable, désopilant mais pas hystérique. Il s'agit de railler des univers étriqués, ceux des « petits-bourgeois » et le jeu inventif et spontané des comédiens se révèle ici particulièrement percutant.
© Shawn Berdah - La Cagnotte - Lucernaire
Les aspects ridicules du caractère de chacun des notables nous sont finement suggérés tout au cours de l'évocation minutieuse des situations vécues par les personnages lors ce voyage absurde et mouvementé à Paris. Mais c'est surtout par la puissance chorale du groupe que le ridicule des personnages nous est présenté. En cela le dispositif comique de La Cagnotte s'avère proche d'autres grandes réussites du répertoire théâtral européen - du satirique Le Révizor (1836) du Russe Gogol au désopilant L’Autobus du Bulgare Stratiev. Toujours sur ce même mode efficacement allusif Labiche tire de nombreux effets humoristiques de la friction entre monde provincial et univers parisien. Le spectacle met en interaction constante principaux personnages - formés par les Pieds Nickelés de Jouarre et ceux dits secondaires (serveur, commissaire, entremetteur) dans un luxe de situations extravagantes.
© Shawn Berdah - La Cagnotte - Lucernaire
Ces derniers inspirent crainte et fascination ; ils symbolisent un monde inconnu, lointain et gigantesque. La confrontation des deux mondes rappelle même un peu les délires du théâtre absurde version Ionesco ou Dubillard. Dans la fameuse scène du restaurant le serveur ressemble un peu à un robot, presque à un automate. Il répète les mêmes formules stéréotypées (« Bien, monsieur ») ou profèrent des phrases très longues, dites d'un seul trait. Quant aux clients, ils se comportent comme des marionnettes, parlent en chœur et répètent les mêmes mots à l'unisson (« c'est pour rien », « Ça n'est pas cher » ; « Oui, oui », « tous »). Par mimétisme tous accomplissent les mêmes gestes. Au final des acteurs inspirés par leurs personnages, une scénographie simple mais attrayante, une mise en scène originale réglée comme du papier à musique !
durée : 1 h 20
La Cagnotte, de Eugène Labiche
Mise en scène et musiques : Thierry Jahn
Avec Meghan Dendraël (Blanche, Sylvain/chant), Xavier Fagnon (Cordembois, Béchut, l'officier de paix/chant), Thierry Jan (Benjamin, Cocarel, Félix Renaudier/chant, piano), Christophe Lemoine (Champbourcy/chant, saxophone), Céline Ronté (Léonida/chant), Vincent Ropion (Colladan, Joseph/Jean), Barbara Tissier (Léonida, chant)
Lucernaire (Théâtre Rouge)
53, rue Notre-Dame des Champs
Paris 6e
horaires : du mardi au vendredi (19 h), samedi et dimanche (16 h)
jusqu'au 1er novembre 2020
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