lundi 12 janvier 2015

L’affaire de la rue de Lourcine


Vaudeville anxiogène, L’affaire de la rue de Lourcine (1857) d’Eugène Labiche (1815-1888) entraîne le spectateur dans la spirale d’un effrayant thriller psychologique sur fond de perversité et d’hypocrisie bourgeoise. Mis en scène au Théâtre 13 par Yann Dacosta et propulsé par une puissante scénographie, le texte de l’auteur du Voyage de M. Perrichon (1860) s’y profile avec une couleur humoristique férocement expressive.

Sans doute, l’on retrouve dans L’affaire de la rue de Lourcine bon nombre d’ingrédients qui ont fait la célébrité du théâtre de Labiche : une cascade de quiproquos et de rebondissements ; des personnages imbus d’eux-mêmes, comme le parfait petit-bourgeois béotien incarné dans L’affaire par Lenglumé ; d’autres, secondaires mais futés, comme le cousin faussement bêta (Potard), le domestique un peu indiscret (Justin) ou la femme candide (Norine) jamais mise au courant des « affaires » de son mari. Pourtant, par son climat résolument sombre, psychotique et pessimiste - à mille lieux du délicat et aérien Un chapeau de paille d’Italie (1851) - L’affaire se démarque de la production habituelle de Labiche.

                                                        © Julie Rodenbour  L’affaire de la rue de Lourcine


Cette tragi-comédie en milieu bourgeois a comme toile de fond un horrible crime (celui d’une jeune charbonnière). Cependant, l’auteur dramatique français a semble-t-il délaissé sur le plan de l’intrigue les circonstances du crime et les ressorts théâtraux potentiels d’une enquête policière pour se concentrer avec un parfum d’humour noir sur le comportement de Lenglumé, personnage fantasque et calculateur imprégné de culpabilité. D’ailleurs, la pièce débute par le réveil dans son lit de ce rentier ridicule, ne se souvenant plus de ce qu’il a fait la veille au soir, et dont tout laisse penser qu’il est l’auteur du crime de la rue de Lourcine. Dans L’affaire, les comédiens se révèlent convaincants, en particulier Benjamin Guillard dans son rôle de Lenglumé, un superbeauf calculateur et pulsionnel  tentant d’éliminer toute personne de son entourage qui pourrait le dénoncer. Au-delà de l’intrigue, simple et un peu manichéenne, c’est surtout par la suggestion des caractères et le jeu expressif des comédiens que le spectacle convainc. Constamment, la passion de Lenglumé pour le positionnement social et les convenances s’entrecroise avec son proche passé criminel, offrant des effets décalés et parfois savoureux.

                                                           © Julie Rodenbour  L’affaire de la rue de Lourcine


Au-delà du crime, le texte de Labiche nous oriente vers toutes les cachotteries honteuses du personnage : adultère, alcoolisme, chantage… Judicieusement, la mise en scène de Yann Dacosta s’affiche baroque et inquiétante avec de nombreux intermèdes musicaux (guitare, violoncelle), un jeu raffiné de lumières, des décors imposants et un surprenant bassin, lieu symbolique de toutes les tartufferies de Lenglumé. Recréant l’image saisissante de deux superbeaufs gladiateurs, la scène dans laquelle Lenglumé et Mistingue s’entretuent dans le bassin s’avère particulièrement réussie. Pièce atmosphérique où sans doute l’étrange l’emporte (sans l’exclure) sur le rire, L’affaire de la rue de Lourcine à travers le personnage emblématique de Lenglumé nous plonge dans une incursion assez fascinante dans l’hypocrisie des mœurs et dans le quotidien d’une certaine bourgeoisie au XIXe siècle. Comme ses contemporains - du Mirbeau du Journal d’une femme de chambre (1900) au Zola de La fortune des Rougon (1870) -, Labiche nous questionne avec une certaine noirceur sur l’avidité, la bêtise, la cruauté et le double langage !

durée : 1 h 15

L’affaire de la rue de Lourcine, d’Eugène Labiche
Mise en scène : Yann Dacosta
Avec Jean-Pascal Abribat (Potard), Pierre Delmotte (Justin), Hélène Francisi (Norine), Benjamin Guillard (Lenglumé), Guillaume Marquet (Mistingue) et les musiciens Pauline Denize et Pablo Elcoq

Théâtre 13 / Seine
30, rue du Chevaleret
Paris 13e

horaires : mardi, jeudi et samedi à 19 h 30, mercredi et vendredi à 20 h 30, dimanche à 15 h 30

jusqu’au 15 février 2015 

A signaler : Rencontre avec Yann Dacosta et toute l'équipe artistique du spectacle le dimanche 25 janvier 2015 à l'issue de la représentation vers 17 h 15  (entrée libre)







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