lundi 26 août 2013

Jacques Sternberg ou l’œil sauvage




Qui est Jacques Sternberg ? Dans un livre intitulé Jacques Sternberg ou l’œil sauvage, surfant entre biographie, essai littéraire, mémoires et autobiographie, Lionel Marek s’interroge sur l’être disparu, proposant au lecteur un voyage littéraire et intime autour de son père Jacques Sternberg (1923-2006), écrivain prolifique et marginal, aussi mordant que méconnu du grand public.
Jacques Sternberg pouvait facilement heurter par ses opinions - le provocant auteur de Lettre ouverte aux terriens (1974) n’ayant jamais caché sa misanthropie. Homme de lettres excessif, poussé à voir le monde avec un « œil sauvage » - son fils, lui-même romancier, tente d’approcher le mystère de ce regard étrangement « sauvage » dans ce livre vérité de près de 350 pages  -, Sternberg, boulimique de l’écrit, est l’auteur d’un millier de contes et de nouvelles. Son œuvre très diversifiée compte romans, pamphlets, anthologies, récits autobiographiques, dictionnaires… Dans ce livre à la fois subtil, pudique et rigoureux, qui mêle habilement nombreux éléments biographiques et extraits significatifs de l’œuvre de Sternberg, Lionel Marek se penche sur cet univers littéraire des plus curieux. D’abord par son style, Sternberg déconcerte. Ses textes courts (contes et nouvelles) contrastent avec ses romans à forme expressionniste aux longues boucles hypnotiques, parfois envahissantes.

Jacques Sternberg

 L’autre singularité de l’auteur de L’Employé réside dans son goût pour le fantastique et la science-fiction. Dans ces deux genres, l’écrivain privilégie le dilemme humain avec des thèmes kafkaïens où se mêlent ironie glacée et humour absurde. Au-delà de cet humour très particulier, l’univers de Sternberg se profile définitivement violent, pessimiste et morbide, en  opposition avec l’homme décrit par Marek comme particulièrement cordial et chaleureux avec ses proches. Sans complaisance pour les ratages littéraires de son père et ses défauts humains - [Sternberg, qui sur le tard ne dédaigne pas les mondanités au café de Flore, paraît quant même très cabotin], Marek, et c’est toute la séduction de son livre, se révèle à la fois peintre, enquêteur et humaniste dans sa démarche intellectuelle.  Je n’ai évidemment pas pensé que du bien de mon père en tant qu’homme, ni même de l’intégralité de sa cinquantaine d’ouvrages. Au risque de paraître un peu raide, voire désobligeant, je ne me suis pas interdit d’exprimer le fond de ma pensée sur les livres de Sternberg les plus faibles à mon goût, précise t-il page 13. Il nous conte à la troisième personne la vie de Jacques Sternberg et le récit de sa création littéraire.

Jacques Sternberg

Tout cela aboutit à un livre troublant et lumineux, nous présentant des clés pour appréhender aussi bien l’œuvre littéraire que la singularité du personnage « Jacques Sternberg ». Comme dans une œuvre à triptyque, Marek fait défiler la vie de son géniteur : l’enfance à Anvers dans une famille plutôt aisée, originaire de Pologne ; les rapports familiaux parfois difficiles, l’invasion de la Belgique par les nazis ; la fuite mouvementée de la famille Sternberg ; la période plutôt heureuse en zone libre ; la fuite en Espagne ; l’internement au camp de Gurs ; la déportation du père vers les camps de la mort… Marek fait ressortir le traumatisme au fer rouge de tous ces évènement liés à la Seconde Guerre mondiale, qui forgera la personnalité de son père et toute son inspiration littéraire. Après, la vie de Sternberg sera jalonnée de petits boulots, de doutes, d’échecs et de petits succès dans cette atmosphère intellectuelle particulière d’après-guerre avec ses grands intellectuels statufiés (Camus, Sartre) et ses maisons d’édition feutrées (Gallimard, Julliard, Le Seuil). Egalement, Marek évoque la longue quête de reconnaissance littéraire de son père ainsi que ses rapports compliqués jusqu’à sa mort avec les milieux de l’édition et du journalisme. (Il est invité dans les années 70 sur le plateau d’Apostrophes pour son pamphlet Lettre ouverte aux terriens.) Avec un grand talent intuitif et un style narratif élégant et précis , Marek approche la planète Sternberg que l’on sent définitivement brûlante, proposant au lecteur un saisissant aperçu littéraire et humain qui donne envie de découvrir ou de relire l’œuvre de Jacques Sternberg.


Lionel Marek, Jacques Sternberg ou l’œil sauvage, éditions L’Age d’homme, 357 pages, 2013


vidéo : Jacques Sternberg en compagnie de Roland Topor au café de Flore


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire