Dans une intéressante progression narrative l'on suit ce conflit larvé entre mère et fils dans lequel rancune et discours haineux alternent étrangement avec tendresse et insignifiance. A partir de cet énigmatique dialogue, de cette succession d'accrochages verbaux entre chien et chat, l'écrivain François Bégaudeau dissèque toute la complexité de la mésentente filiale, plus particulièrement la difficulté de communiquer au sein de la sphère familiale. Ce conflit moucheté aux relents de scène de ring se déroule dans le salon d’un petit appartement de province.
Le lien - Théâtre Clavel
Il y a là Christiane, d’origine modeste, retraitée, assise à table, en fin de repas. Au début du spectacle l'accent est mis sur l'agacement du grand fils (Stéphane) devant les propos oisifs de la mère sur du fromage, et des effets sonores sur la voix suggèrent au spectateur le décalage intellectuel et affectif entre le trentenaire écrivain et la placide retraitée. Dans la première partie du spectacle le fils reproche avec véhémence à sa mère de ne pas s’intéresser à lui, de ne pas lui poser de questions sur sa vie, son métier d’écrivain, de ne pas lire ses livres. C'est sans doute la partie la plus incisive de cette comédie familiale, qui subtilement joue sur plusieurs registres. Annie Talbert (Christiane) et Gaël Colin (Stéphane) forment un percutant duo théâtral dans leur façon de raconter leur incapacité réciproque à se parler et à se comprendre mais aussi - dans la dernière partie de la pièce - dans leur pugnacité à ne pas renoncer à se comprendre et à s'aimer.
Dans une seconde partie le climat de la pièce se profile plus léger, notamment par l'arrivée d'un personnage cocasse et conciliant (interprété avec brio par Anne Ruault) cherchant entre bon gâteau et séance de relaxation à dédramatiser le fil tendu entre Christiane et son fils. Fluide et efficace, la mise en scène de Jean-Marc Molinès nous fait méditer avec une pointe d'excentricité et sur un mode intimiste sur ces tranches de vies marquées par l'ambivalence des sentiments et des caractères. Il y a aussi dans Le lien un questionnement sur la différenciation sociale, notamment dans la façon virulente qu'a le personnage principal de reprocher à sa mère de ne pas comprendre son positionnement d'écrivain.
Et d'une certaine façon, dans sa recherche de reconnaissance maternelle, le personnage de Stéphane peut faire songer partiellement à celui de l'écrivain Georges Simenon, qui à travers Lettre à ma mère livrait un témoignage poignant et réaliste, celui à fleur de peau d’un écrivain adulé, mythifié de son vivant, mais superbement ignoré par sa génitrice. Dans cette tragi-comédie le « monstre » n'est d'ailleurs pas forcément celui que l'on désigne ou que l'on croie être. A la fois étriqués et magnifiques les personnages du Lien nous convoquent à prendre de la distance sur nos jugements premiers !
durée : 1 h 15
Le lien, de François Bégaudeau
durée : 1 h 15
Le lien, de François Bégaudeau
Mise en scène : Jean-Marc Molinès
Avec Gaël Colin, Annie Talbert, Anne Ruault.
Théâtre Clavel
3, rue Clavel
Paris 19e
horaires : les lundis et mardis à 19 h 30
jusqu'au 17 décembre 2024
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire