lundi 4 mars 2024

Serge Gainsbourg, la flamme du scandale


Parmi les nombreuses frasques de Serge Gainsbourg, une particulièrement marqua le paysage audiovisuel français : celle du chanteur provocateur, brûlant en direct un billet de 500 francs. L'autodafé eut lieu précisément il y a 40 ans le 11 mars 1984, sur le plateau de l’émission Sept sur sept diffusé sur TF1. Dans le livre Serge Gainsbourg, la flamme du scandale Julien Paganetti propose une analyse fine et pertinente de l'évènement médiatique, replaçant l'Homme à la tête de chou dans la singularité du lien entre acte subversif et univers artistique. Beaucoup de livres ont déjà été consacrés à la vie et à l'oeuvre de Lucien Ginzburg, le futur Serge Gainsbourg appelé familièrement par ses fans « Gainsbarre ». En revanche, son mode de fonctionnement médiatique a été peu étudié et il n'existe pas d'ouvrage spécifique consacré à sa prestation de 1984. Ce nouveau livre consacré au dandy sulfureux se profile d'autant plus vivant qu'il est richement illustré d'images inédites, de manuscrits et d'archives personnelles. Le livre inclut également les photos de Michel Giniès, qui immortalisa ce jour historique sur le plateau de Sept sur sept. (Le photographe professionnel eut la présence d'esprit de récupérer le fragment du billet cramé alors que la femme de ménage arrivait avec un grand sac poubelle !). Expert en manuscrits et spécialiste de Serge Gainsbourg Julien Paganetti décortique de long en large les coulisses de cet « happening » ainsi que l'avant et l'après. Il a retrouvé les témoins de cette mémorable journée et effectué une recherche minutieuse sur les répercussions sociales, politiques, artistiques, voire psychologiques qu'a eu ce geste apparemment anodin mais qui a puissamment marqué la mémoire collective. Au-delà de l'aspect anecdotique, voire puéril de brûler un vrai billet il faut sans doute envisager cette prestation télévisuelle en prenant en compte le mode d'expression propre à Gainsbourg ainsi que ses références culturelles. (Déjà quelques années avant son happening de 7 sur 7 il avait brûlé dans un restaurant londonien un billet de 100 francs sous les yeux ébahis de la petite Charlotte et de sa mère Jane Birkin. Bien entendu, cette prestation fit l'objet d'une photo !) Cette ambiguïté entre acte publicitaire et prestation artistique sur fond de bon vieux climat subversif n'est certes pas nouvelle. Avant lui Salvador Dali, Yves Klein, Andy Warhol ou Marcel Duchamp avaient eux aussi cherché à titiller l'attention de leurs contemporains. D'une certaine façon le chanteur radicalise le procédé en pratiquant un acte à forte connotation politique car à l'époque beaucoup de gens considérèrent qu'il était scandaleux de brûler un billet d'une telle valeur  vis-à-vis des personnes pauvres. Ironiquement, la récupération du Pascal des années 80 en fait à la fois un objet troublant et iconique. Comme l'écrit Julien Paganetti : « Le billet de 500 francs devient le Serge Gainsbourg, comme une marque déposée. Désormais l'artiste en dédicace même parfois quelques exemplaires, comme il le fit pour son majordome Fulbert. La coupure est comme sienne. Des artistes de premier plan s'en sont inspirés, dans leur propre démarche artistique. » (page 174). Serge Gainsbourg, la flamme du scandale nous montre bien la continuité chez l'artiste d'une certaine tradition de l'outrage à travers la théâtralité qui se dégage de ses diverses prestations télévisuelles. Mais comme le remarque justement l'auteur « la provocation est un art de funambule qui ne tolère pas l'à-peu-près ». Dandy provocateur, peintre frustré, chanteur opportuniste, génial poète subversif pour certains, trublion alcoolique malsain pour d'autres, au fil des décennies la figure de Gainsbourg n'a cessé de se «mythifier ». [Sa maison est d’ailleurs devenue, depuis le 20 septembre 2023, un musée accueillant les fans du défunt artiste et les visiteurs.] Dans Serge Gainsbourg, la flamme du scandale, Julien Paganetti nous donne quelque clés pour mieux cerner ce parcours artistique  complexe s'entrecroisant entre ordre et chaos et où  l'univers médiatique se profile omniprésent.

Julien Paganetti, Serge Gainsbourg, la flamme du scandale, enquête, éditions Herscher, 220 pages, 2024

(parution le 6 mars 2024)









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