Dans un livre intitulé Dix idées reçues sur le Moyen Age l'historien médiéviste Martin Aurell nous propose une vision élargie sur le Moyen Age, trop souvent décrit comme une période obscurantiste et uniforme. « Plaider pour le Moyen Age n'implique pas de nier ses défauts ou plutôt les pratiques qui rebutent notre sensibilité d'hommes et femmes du XXIe siècle », nous avertit dans cet ouvrage à la fois érudit, critique et accessible (avec un certain sens de l'humour) ce professeur d'Histoire médiévale, qui a longtemps dirigé le Centre d'études supérieures de civilisation médiévale à l'université de Poitiers, et auteur de nombreux ouvrages sur la thématique féodale [La vielle et l'épée : troubadours et politique en Provence au XVIIIe siècle (1989), Des chrétiens contre les croisades (XIIe-XIIIe siècle (2013), Aliénor d'Aquitaine (2020)]. Envisager la période sur le terrain historique n'est pas une mince affaire. D'abord, elle est très longue (Ve siècle - XVe siècle). Ensuite, elle jouit d'une réputation épouvantable, imprégnée par la cruauté des moeurs, la violence des guerres et le fanatisme religieux. L'ouvrage de l'auteur tente de démonter dix poncifs sur le Moyen Age. Il nous remet en mémoire par exemple que le Moyen Age a été souvent à tord perçu comme une période pauvre en avancées techniques et en rayonnement culturel. Dans ce livre Martin Aurell rappelle que le dénigrement du Moyen Age a des sources profondes, à commencer par les plus grandes sommités littéraires de la période comme Pétrarque (1304-1374) et saint Bonaventure (1220-1274) en passant par les humanistes italiens et allemands du XVIe siècle, qui n'ont eu de cesse de flageller la décadence et la barbarie de ces temps. Le dénigrement de bon nombre d'intellectuels ayant vécu sous le Moyen Age s'explique aussi leur nostalgie de l'Age d'Or de l'Antiquité gréco-latine. Réduite souvent à un interlude léthargique de l'Histoire, coincée juste avant l'émerveillement promu de la Renaissance, le Moyen Age traîne de toute évidence une sale réputation. Les travaux d'historiens réputés comme Georges Duby ou Jacques Le Goff ont permis une nouvelle approche de cette période mouvementée, voire une réhabilitation dans une approche à la fois sociologique, économique et psychologique plaçant l'homme et la société du Moyen Age dans sa réalité quotidienne sans gommer les aspects brutaux de son environnement. A la fois érudit et vulgarisateur l'ouvrage de Martin Aurell s'inscrit dans une démarche similaire dans ses précédents ouvrages sur le Moyen Age. Avec gourmandise l'auteur s'attache à nous démonter en 10 points stratégiques pas mal d'idées fausses, par exemple le mythe de l'ignorance médiévale, rappelant la vitalité de la recherche, du débat intellectuel et de la littérature (clercs, universités, écoles). L'historien écrit : « A partir du XIIe siècle, réflexion, débat et expérimentation sont le lot des intellectuels urbains. Fondé sur la dialectique et la logique, leur esprit critique les encourage à une constante remise en cause, mais toujours respectueuse du savoir ancien. L'érudition des clercs se diffuse du sommet à la base, comme par percolation, jusqu'aux nobles et bourgeois laïcs, dont les études s'élargissent et s'allongent. » (page 161). Autre domaine dans lequel le Moyen Age excelle : le savoir technique. Rappelant le legs que les savants de la Renaissance doivent au Moyen Age l'auteur note : « A partir des années 1500, des génies comme Copernic, Galilée, Léonard ou Servet n'émergent pas spontanément ; ils descendent bien d'une longue lignée d'ancêtres scientifiques. Ils héritent d'un savoir-faire technique et de méthodes expérimentales, accumulés au cours du Moyen Age. » (pages 83-84). Avec les états-généraux et le développement des communes le domaine politique et celui de l'organisation sociale à l'époque médiévale permettent de nombreux contre-pouvoirs, contrebalançant l'absolutisme royal, qui deviendra dans les périodes ultérieures un monstrueux Léviathan. A propos du rôle de ces communes l'auteur note: « Les villes ont été organisées en communes libres, dont les dirigeants, en tant que tiers état d'assemblées représentatives, négocient le montant de l'impôt versé au roi. Enfin, sur le plan politique, la distinction entre le temporel et le spirituel pose les bases de la laïcité contemporaine. » (page 179). Au final, l'on trouvera dans ce livre de près de 200 pages de nombreuses et intéressantes précisions sur la période, y compris sur les thématiques les plus sombres ( les Croisades, l'Inquisition, les guerres). Dans sa conclusion le médiéviste note : « Le Moyen Age n'est pas une parenthèse médiocre entre deux périodes de paix et de progrès. Il n'est pas non plus un temps exclusivement joyeux de fête incessante, de guerre héroïque et d'architecture novatrice. Comme n'importe quelle période de l'histoire humaine, il n'est ni noir ni rose, mais tout en nuances chromatiques.» (page 184).
Martin Aurell, Dix idées reçues sur le Moyen Age, broché, grand format, essai, Histoire, éditions JC Lattès, 220 pages, 2023
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