lundi 1 février 2016

Maladie de la jeunesse



Œuvre phare de Ferdinand Bruckner (1891-1958), mise en scène par Philippe Baronnet au Théâtre de la Tempête, Maladie de la jeunesse reflète les déchirements moraux d’adolescents de la Vienne des années 1920. Captant toute la troublante modernité de la pièce, Baronnet propose un spectacle subtil et vibrant, mettant à nu les pulsions cyniques et idéalistes des personnages.

Les œuvres théâtrales de Bruckner son réputées à la fois pour leur forme moderne et un pessimisme nihiliste. Orientées vers un théâtre documentaire, proche de celui d’Odon von Horvath, elles sont très liées au contexte politique et social de leur époque - perte des valeurs liées à la défaite, conflits de classes, peur du capitalisme, crise morale. Néanmoins, elles restent d’actualité par la modernité du message et le sens psychologique qui imprègnent le répertoire propre au dramaturge autrichien.

photo © Olivier Allard - Maladie de la jeunesse - Théâtre de la Tempête 

L’acuité du regard de Bruckner sur les problèmes contemporains s’était déjà exprimée dans Races (1923) et Les Criminels (1928). (Maladie de la jeunesse est écrite en 1926.) A propos des créations de Bruckner, Laurent Muhleisen écrit ceci : « La dimension de critique sociale de son œuvre va de pair avec son esprit journalistique et sa connaissance des théories psychanalytiques, associées à un immense talent dramaturgique. » L’action de Maladie de la jeunesse se déroule dans une pension de Vienne où cohabitent des étudiants en médecine [Désirée, Alt, Freder, Lucy, Petrell, Irène et Marie]. A propos d’eux le metteur en scène note qu’il s’agit « de personnages complexes, aux esprits froids et brillants, souvent très touchants par leur naïveté et leur manque d’expérience ». Particulièrement doués, les sept comédiens occupent l’espace scénique sans fausse note avec un ton naturel. 

photo © Olivier Allard - Maladie de la jeunesse - Théâtre de la Tempête 

Les personnages nous sont dévoilés à travers leur désœuvrement un peu naïf, leur sens aigu de la diplomatie et de la vacherie gratuite. L’étalage sporadique de leur extrême nervosité nous oriente progressivement au fil du spectacle vers la secrète personnalité de chacun. Toute la pièce est imprégnée par ce climat drôle et inquiétant, caractéristique de l’œuvre de celui qui publia également Zweig, Kafka et Hesse [en 1917, il crée la revue Marsyas]. D’une certaine façon, on peut percevoir la pièce comme une satire de la vie en commun à travers ce microcosme d’auberge espagnole (aux odeurs de formol), constamment traversé par de capricieux ego et des  puériles jalousies. Finalement, le titre nous dit tout : la jeunesse est une maladie. « Il faut s’embourgeoiser ou se tuer » s’exclame prophétique un des personnages [Freder], comme pour exorciser la peur de l’avenir. Fidèle au climat étrange qui émane du texte de Bruckner, cette Maladie de la jeunesse se révèle un spectacle très prenant et nous contamine.

durée : 2 h

Maladie de la jeunesse, de Ferdinand Bruckner
Mise en scène : Philippe Baronnet
Avec Clémentine Allain (Désirée), Thomas Fitterer (Alt), Clovis Fouin (Freder), Louise Grinberg (Lucy), Félix Kysyl (Petrell), Aure Rodenbour (Irène), Marion Trémontels (Marie)

Théâtre de la Tempête (salle Copi)
Cartoucherie, Route du Champ-de-Manœuvre
Paris 12e
du mardi au samedi à 20 h 30, le dimanche à 16 h 30

jusqu'au 14 février 2016

photo © Olivier Allard - Maladie de la jeunesse - Théâtre de la Tempête 

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