98 % des Français regardent la télévision. Eux, non. Ils la refusent sous toutes ses formes, quel que soit l'écran de réception. Qui sont ces réfractaires ? Que font-ils de leur "temps libre" ? Dans Pas très cathodique, Bertrand Bergier nous propose un voyage sociologique au pays des "sans-télé"...
Blog de Phaco : Pendant trois ans vous êtes parti à la rencontre de 566 ménages français qui ne regardent pas la télévision et ne possèdent pas de téléviseurs. Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans votre enquête ?
Bertrand Bergier : Ce qui m'a le plus surpris c'est l'hétérogénéité de cette population, notamment du point de vue générationnel.
- Ainsi, les personnes n'ayant jamais eu de télé (13%) tant dans leur enfance que dans leur vie d'adulte se recrutent essentiellement parmi les générations nées avant 1956, à une époque où le téléviseur était encore un objet insolite. Tout se passe comme si la lignée perpétuait un ordinaire tenant ce média à distance. Le désintérêt participe du patrimoine symbolique transmis d'une génération à l'autre.
- Les récits des personnes sans TV nées dans la période 1956-74, période d'implantation massive, témoignent le plus souvent d'une enfance se déroulant "sans" puis "avec" le tube cathodique. Leur vie d'adulte s'inscrit, plus que d'autres, dans ce prolongement. La configurantion de l'alternance (17%) y est sur-représentée : ils se passent de la TV, l'acquièrent, s'en séparent à nouveau...
- Quand à ceux nés à partir de 1975, notamment les jeunes adultes de la "I-génération", ils ont connu, pour la plupart, non seulement la TV mais d'autres écrans qui sont entrés en concurrence, lui ont donné un caractère désuet et finalement l'ont supplantée.
Contrairement à une idée répandue, le fait de refuser la télévision n’est pas l’apanage de catégories sociales élitistes…
Bertrand Bergier : Effectivement, parmi notre population"déchaînée", nous avons rencontré 25% d'adultes peu dotés au plan académique (ayant au mieux le bac) ou encore 15% d'ouvriers-employés. Il était socio-logique de regrouper ces catégories or ces minorités ne se confondent pas. La discordance des parcours scolaires et professionnels dévoile d'une part, des ouvriers-employés sur-diplômés et d'autre part des autodidactes. Cette hétérogénéité de la population, sa structure composite, nous montrent qu'une atypicité (ne pas avoir la TV) peut en cacher une autre.
Dans votre enquête détaillée, l'absence du paysage télévisuel apparaît parfois relative : bon nombre de personnes interrogées qui ne possèdent pas la télévision la regardent ailleurs, par exemple en famille ou chez des amis...
Bertrand Bergier : Oui, on peut ne pas l'avoir et la voir. A de rares exceptions près, celle où le téléphone mobile et internet viennent à la rescousse d'une télévision regardée autrement, les réfractaires ont en commun de ne pas la consommer sur les nouveaux écrans. Mais, massivement implantée au dehors, il n'est pas aisée de lui échapper. 32% l'ont regardée au cours de la semaine, 58% au cours du mois. Ce à quoi s'expose l'ascète sur cette "télé de passage" n'est pas abandonné au goût d'autrui et témoigne majoritairement d'un minimum de connivence culturellle entre le maître des lieux (parents, amis, voisins...) et les attributs (sexe, âge) de ce télespectateur éphèmère.
Vous signalez dans votre livre la concurrence de l'outil cathodique avec l'ordinateur et Internet...
Vous signalez dans votre livre la concurrence de l'outil cathodique avec l'ordinateur et Internet...
Bertrand Bergier : C'est exact. La population sans télé témoigne de l'excroissance des nouveaux écrans et d'un quotidien hight tech. L'ordinateur occupe le terrain, notamment chez les jeunes adultes ayant grandi dans un bain familial numérique. Certes, ils ont accès à des milliers de chaînes TV présentes sur la toile, mais leur usage d'internet conncurrence directement la télévision. Ils ne la regardent plus. Leur comportement atypique, socialement anecdotique, contiendrait en germe le typique. C'est-à-dire la remise en cause d'une part du téléviseur qui devient un écran périhérique, utilitaire pour des jeux sur la Wii, et, d'autre part, de la télévision qui, déclassée, perd son statut de média identitaire et fédérateur pour acquérir un statut de média d'accompagnement supportant la concomitance des autres écrans (regardée en pointillé par dessus l'écran du micro), voire un statut de site Web, une fenêtre parmi d'autres !
Avez-vous rencontré lors de votre enquête de véritables intégristes, c’est-à -dire des gens qui refusaient catégoriquement l’univers télévisuel ?
Bertrand Bergier : J'ai rencontré de rares abolitionnistes qui militent pour que plus personne ne l'ait.. Mais, ils savent le plus souvent rire d'eux-mêmes.
Bertrand Bergier, Pas très cathodique Enquête au pays des « sans-télé », éditions Erès, collection « Sociologie clinique », 245 pages, 2010
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