lundi 7 mars 2022

Maîtres anciens


Au Théâtre des Déchargeurs  Gerold Schumann signe une tonique et émouvante  adaptation  théâtrale  du roman Maîtres anciens  de Thomas Bernhard (1931-1989). Interrogeant la part lumineuse et sombre de la vision artistique de l'Autrichien rebelle  le comédien François Clavier interprète habilement ce texte fascinant et énigmatique. Dans Maîtres anciens (1985) l'on retrouve bon nombre  thèmes clés qui ont fait la réputation  sulfureuse  du romancier iconoclaste :  la détestation de son pays et en particulier de Vienne, l'hostilité envers les élites politiques et culturelles, la raillerie continuelle  de l'éducation, la dénonciation de l'hypocrisie sociale ou encore  le ridicule et l'imposture des oeuvres de certains artistes. En outre, Maîtres anciens a une place toute particulière dans l'oeuvre de Bernhard. 

© Pascale Stih 
Maîtres anciens - Théâtre des Déchargeurs 

Ecrit quatre ans avant sa mort, c'est son avant-dernier roman. Il  rédige le livre peu après le décès de sa compagne.  A la fois minimaliste et envoutant Maîtres anciens se profile un long monologue  dans lequel Reger, un vieux critique musical, illuminé et misanthrope s'interroge sur le monde et la société. Casanier et obsessionnel, il choisit  pour cadre de ses superbes ruminations mentales une des banquettes du Musée d'art ancien de Vienne où - un matin sur deux - il s'assoit face à L'homme à la barbe blanche, tableau du Tintoret représentant la vieillesse et la mort. Pour interpréter Reger le metteur en scène  Gerold Schumann a choisi François Clavier que l'on a pu voir récemment dans Les Vagues (d'après Virginia Woolf), mis en scène par Marie-Christine Soma au Studio Théâtre de Vitry. 

© Pascale Stih 
Maîtres anciens - Théâtre des Déchargeurs 

Passionné par l'oeuvre de Bernhard  l'interprète s'est mis dans la peau du fantasque Reger. Subtilement, porté par une élocution parfaite et  un timbre de  voix, tantôt guilleret, tantôt orienté vers un ton d'imprécation, le comédien, devenu passeur, explore pour nous  ce personnage imprévisible et tourmenté, dans lequel l'on devine aisément  l'alter ego du romancier. Rythmée, réaliste et poétique  l'adaptation théâtrale de   Schumann se profile une réussite. Elle  reflète  habilement la puissance à la fois émotionnelle et incantatoire du roman Maîtres anciens, qu'il est difficile de résumer. Il y a bien sûr toujours profondément inscrites les habituelles diatribes de Bernhard, par Reger interposé, contre le monde, contre l'Etat, contre la société ou l'éducation. 

© Pascale Stih
Maîtres anciens - Théâtre des Déchargeurs 

Mais sans doute, au-delà de l'anarchisme ambiant et du sentiment constant de révolte,  qui enveloppe l'univers de   Bernhard, l'aspect le plus percutant de  Maîtres anciens se manifeste par une passionnante excursion dans les recoins les plus obscurs et lumineux de la psyché de l'homme, en particulier celle de l'artiste. Par la voix de Reger, Bernhard explore cette dimension amour/haine autour de l'art en général  et nous suggère fermement la part d'imposture propre à toute revendication culturelle. Il nous invite aussi à nous méfier des multiples clercs et bons samaritains qui mettent en coupes réglées le domaine artistique ou culturel. En outre,  Maîtres anciens se révèle un texte magnifiquement ciselé, dont François Clavier se fait le passeur pendant près d'une heure.  La musicalité du texte passe aussi par son astucieuse  progression narrative. Au soliloque désespéré,  jouissif et goguenard de Reger répond (en voix off) les commentaires de Atzbacher, observateur attentif et personnage énigmatique, scrutant très respectueusement les moindres faits et gestes de son ami Reger. 
 
durée : 1 h 10

Maîtres anciens (reprise)
Texte : Thomas Bernhard
Mise en scène, adaptation : Gerold Schumann
Jeu : François Clavier

Théâtre des Déchargeurs (salle Vicky Messica)
3, rue des Déchargeurs
Paris 1er 
horaires : mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 19 h

jusqu'au 26 mars  2022










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