Ecrit quatre ans avant sa mort, c'est son avant-dernier roman. Il rédige le livre peu après le décès de sa compagne. A la fois minimaliste et envoutant Maîtres anciens se profile un long monologue dans lequel Reger, un vieux critique musical, illuminé et misanthrope s'interroge sur le monde et la société. Casanier et obsessionnel, il choisit pour cadre de ses superbes ruminations mentales une des banquettes du Musée d'art ancien de Vienne où - un matin sur deux - il s'assoit face à L'homme à la barbe blanche, tableau du Tintoret représentant la vieillesse et la mort. Pour interpréter Reger le metteur en scène Gerold Schumann a choisi François Clavier que l'on a pu voir récemment dans Les Vagues (d'après Virginia Woolf), mis en scène par Marie-Christine Soma au Studio Théâtre de Vitry.
Passionné par l'oeuvre de Bernhard l'interprète s'est mis dans la peau du fantasque Reger. Subtilement, porté par une élocution parfaite et un timbre de voix, tantôt guilleret, tantôt orienté vers un ton d'imprécation, le comédien, devenu passeur, explore pour nous ce personnage imprévisible et tourmenté, dans lequel l'on devine aisément l'alter ego du romancier. Rythmée, réaliste et poétique l'adaptation théâtrale de Schumann se profile une réussite. Elle reflète habilement la puissance à la fois émotionnelle et incantatoire du roman Maîtres anciens, qu'il est difficile de résumer. Il y a bien sûr toujours profondément inscrites les habituelles diatribes de Bernhard, par Reger interposé, contre le monde, contre l'Etat, contre la société ou l'éducation.
Mais sans doute, au-delà de l'anarchisme ambiant et du sentiment constant de révolte, qui enveloppe l'univers de Bernhard, l'aspect le plus percutant de Maîtres anciens se manifeste par une passionnante excursion dans les recoins les plus obscurs et lumineux de la psyché de l'homme, en particulier celle de l'artiste. Par la voix de Reger, Bernhard explore cette dimension amour/haine autour de l'art en général et nous suggère fermement la part d'imposture propre à toute revendication culturelle. Il nous invite aussi à nous méfier des multiples clercs et bons samaritains qui mettent en coupes réglées le domaine artistique ou culturel. En outre, Maîtres anciens se révèle un texte magnifiquement ciselé, dont François Clavier se fait le passeur pendant près d'une heure. La musicalité du texte passe aussi par son astucieuse progression narrative. Au soliloque désespéré, jouissif et goguenard de Reger répond (en voix off) les commentaires de Atzbacher, observateur attentif et personnage énigmatique, scrutant très respectueusement les moindres faits et gestes de son ami Reger.
durée : 1 h 10
Maîtres anciens (reprise)
Texte : Thomas Bernhard
Mise en scène, adaptation : Gerold Schumann
Jeu : François Clavier
Théâtre des Déchargeurs (salle Vicky Messica)
Théâtre des Déchargeurs (salle Vicky Messica)
3, rue des Déchargeurs
Paris 1er
horaires : mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 19 h
jusqu'au 26 mars 2022
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