lundi 15 février 2016

Polyeucte


Actuellement à l’Essaïon Théâtre l’on peut voir la pièce Polyeucte (1642). Dans une mise en scène sobre et moderne, Ulysse Di Gregorio propose de redécouvrir la célèbre tragédie de Pierre Corneille (1606-1684), exprimant sous une forme réaliste et poétique la beauté, la grandeur et l’absurdité du martyre d'un seigneur arménien du IIIe siècle.

Polyeucte aborde bon nombre de thèmes qui peuvent avoir une résonnance actuelle, comme la foi, le fanatisme ou la folie religieuse… Quoique aujourd’hui figurant au programme des manuels scolaires, et considérée comme un des grands classiques du théâtre du XVIIe siècle, la pièce de l’illustre Corneille suscita bien des débats houleux. Elle fut longtemps une source de friction entre gens de lettres et d’Eglise.

Polyeucte - Essaïon Théâtre

Et sous la chatoyante musicalité de l’alexandrin et la délicatesse des jolis mots, le texte de Polyeucte se profile brûlant et explosif, exaltant l’idée barbare de sacrifice en une beauté toute fiévreuse qui peut provoquer un certain malaise. Promis - par son attitude sans compromission - au martyre, Polyeucte sacrifie tout par pure passion religieuse : l’amour de sa femme (Pauline), une place en or au sein de l’Empire de Decius, les bonnes grâces et les honneurs chamarrés que pourraient lui procurer son récent beau-père (Félix), gouverneur romain d’Arménie. Incompris et rejeté de son vivant du fait de son adhésion au dogme chrétien, son sacrifice entraînera finalement la conversion de Pauline et de Félix, allant même jusqu’à semer le trouble chez un rival (le noble romain Sévère), qui sans renier le paganisme sera « ébranlé » par la grandeur de la foi de Polyeucte.

Polyeucte - Essaïon Théâtre

Occupé par de mystérieuses colonnes architecturales et des visages sculptés aux masques de dieux de pierre, l’espace scénique de l’Essaïon Théâtre nous donne déjà un avant-goût de ce drame très « cornélien » dans lequel passion malheureuse, questions d’honneur, masochisme et exaltation de l’esprit s’enlacent pour le pire. Depuis plusieurs années, avec grand talent, Ulysse Di Gregorio a pris l’habitude de puiser dans un solide répertoire d’auteurs (Claudel, Pinter, Kane), élaborant de complexes et séduisantes mises en scène au climat crépusculaire dans lesquelles rêveries littéraires et désillusions sociales s’entrechoquent [Une sorte d’Alaska (2013), 4.48 Psychose (2015), La Cantate à trois voix (2015)]. La grande force du spectacle réside dans son approche suggestive et réaliste du mystère qui entoure Polyeucte.

Polyeucte - Essaïon Théâtre

Très naturels dans leurs jolis costumes et portés par une diction parfaite, les comédiens évoluent sur scène sans emphase. Par un jeu tout en finesse, Dorothée Deblaton (Pauline) et Justin Blanckaert (Polyeucte) donnent vraiment beaucoup d’épaisseur à leurs personnages respectifs. L’exaltation religieuse de Polyeucte s’exprime avant tout à travers une apparente tranquillité têtue, une façon froide et désincarnée de considérer tous ceux qui ne pensent pas comme lui comme des ennemis, et surtout par un goût morbide pour la mort. Tout cela naturellement fait plus que songer à une actualité brûlante, richement pourvue en idéologie nauséabonde et en criminalité organisée. Cependant voir en Polyeucte une métaphore du terrorisme serait sans doute excessif. En effet, le noble romain accepte certes avec délices l’idée de sa mort, mais il ne tue pas. Dans sa révolte contre l’ordre romain, il se contentera juste de briser dans un temple quelques statues et de renverser l’autel des idoles. Le Polyeucte d'Ulysse Di Gregorio est un spectacle prenant, restituant à merveille l’émotion antique et sa musicalité funèbre.

durée : 1 h 40

Polyeucte,
de Pierre Corneille
Mise en scène : Ulysse Di Gregorio
Avec Justin Blanckaert (Polyeucte), René Hernandez (Félix), Dorothée Deblaton (Pauline), Nino Rocher (Fabian), Bruno Guillot (Sévère), Coline Moser (Stratonice), Jean-Louis Cordina (Albin), Christopher Bayemi (Néarque)

Essaïon Théâtre
6, rue Pierre-au-lard
Paris 4e
horaires : les lundis et mardis à 19 h 30


jusqu’au 29 mars 2016





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