lundi 21 mars 2016

Dom Juan


Comédie en prose de Molière (1622-1673), Dom Juan (1665) met en exergue l’impénitent séducteur cynique à travers un personnage archétype. Au Théâtre de la Tempête, dans une mise en scène sobre et drôle, Anne Coutureau inscrit la pièce dans l’époque actuelle, proposant une vision théâtrale originale.


« Il ne faut pas aller à Dom Juan comme à un rendez-vous habituel, averti de l’interlocuteur ou du partenaire qu’on va rencontrer ; il faut y aller curieux de la nouveauté d’une approche, avides de neuf », avertissait, judicieusement, au siècle dernier ce « fou de théâtre » qu’était Louis Jouvet. Dans Dom Juan, Molière raillait - une fois de plus ! - l’hypocrisie sociale des faux dévots. Mais sans doute, au-delà du charme de la satire d’une comédie de caractères portant sur ce drôle de seigneur - qui rejette simultanément famille, religion et ordre social -, c’est surtout la modernité « prophétique » de Molière qui nous touche, offrant là avec cette pièce clé une base de réflexion (promise à une belle postérité philosophique !) sur la liberté et ses multiples arcanes.

© photo Svend Andersen -  Dom Juan -  Théâtre de la Tempête

En cela, le Dom Juan de Molière - qui se distingue des autres plus simplistes de Cicognini et de Tirso de Molina au cours du XVIIe siècle - nous oriente vers la philosophie nietzschéenne et en plein cœur de la liberté ambiguë qui animait par exemple dans Peer Gynt (1867) le petit paysan ivre de désirs mais refusant toute contrainte, satire de la veulerie et de l’égoïsme, oeuvre du dramaturge norvégien Henrik Ibsen (1828-1926). Inscrivant Dom Juan dans le monde moderne et ses sortilèges, Anne Couturier réincarne habilement le sulfureux séducteur en simple beauf. D’emblée, l’égocentrisme et la cruauté mentale du personnage peuvent rendre le personnage antipathique. Mais si l’on suit attentivement le cours narratif de la pièce, l’on découvre que le personnage a aussi quelques qualités : de la constance et un certain courage - l ‘amusante scène de la forêt où Dom Juan délivre avec ses poings le frère de Done Elvire d’une bande de voleurs, celui-ci venait pour se venger de l’honneur bafoué de sa sœur. 

© photo Svend Andersen -  Dom Juan -  Théâtre de la Tempête

Efficace et parfois enrobée d’un climat fantastique rendu par un jeu étudié de lumières et une scénographie raffinée, la mise en scène d’Anne Coutureau s’enrichit de nombreuses scènes cocasses. Là dans un climat champêtre et banlieusard, ce filou libertin converse aimablement avec les paysannes (Charlotte et Mathurine) sur fond de rap et de smurf. Ailleurs, dans une forêt, il reculera épouvanté par la vision surréaliste de la statue du Commandeur qu’il a trucidé quelques années auparavant. Avec une belle clairvoyance théâtrale, Florent Guyot interprète cet incroyable personnage, courroucé chaque fois qu’un opportun ose mette en cause la légitimité du moindre de ses plaisirs. Le personnage joué par Guyot se profile d’autant plus inquiétant qu’il n’est jamais explicitement ridicule. Egoïste, rationnel, hédoniste, un zest méditatif, Dom Juan nous apparaît aussi sous ses dehors de petit marquis superbeauf comme un professionnel de la communication.

© CLL Dom Juan au Théâtre de la Tempête

L’on mentionnera l’interprétation subtile de Tigran Mekhitarian dans le rôle de Sganarelle, serviteur de Dom Juan. Par sa gestuelle, ses mimiques et réflexions brèves mais incisives, c’est un personnage clé de la pièce. La désapprobation du valet pour les actes de son maître est audible ; l’on perçoit également sa fascination trouble pour Dom Juan, pour tous ces interdits que lui seul ose braver. Sans recourir à la grandiloquence, le spectacle s’achève en toute beauté sépulcrale. Les personnages clés de la pièce sont réunis dans un lieu au décor macabre. 
Ce Dom Juan se profile comme un des spectacles de théâtre classique les plus aboutis de cette saison. On conseillera donc vivement de le découvrir !

durée : 2 h 15

Dom Juan, de Molière
Mise en scène : Anne Coutureau
Avec Birane Ba (Pierrot), Dominique Boissel (Dom Louis), Johann Dionnet (Dom Alonse, Monsieur Dimanche), Pascal Guignard-Cordelier (Francisque), Florent Guyot (Dom Juan), Peggy Martineau (Done Elvire), Tigran Mekhitarian (Sganarelle), Aurélia Poirier (Mathurine), Kevin Rouxel (Dom Carlos), Alison Valence (Charlotte)

Théâtre de la Tempête (salle Serreau)
Cartoucherie - Route du Champ-de-Manœuvre
horaires : du mardi au samedi (20 h), dimanche (16 h)

jusqu’au 17 avril 216


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