lundi 18 février 2013

Eyolf [Quelque chose en moi me ronge]



Oeuvre de Henrik Ibsen (1828-1906), Eyolf (1894) entraîne le spectateur dans un mystérieux univers où s’entremêlent onirisme et existentialisme. Au Théâtre de l’Aquarium, la metteuse en scène Hélène Soulié fait ressortir avec beaucoup de finesse la modernité de la pièce de l’auteur dramatique norvégien.

Drame intense et sinueux, Eyolf est cependant moins connu que Peer Gynt (1867) ou Maison de poupée (1869). S’inscrivant autant dans l’intime que le social, voire le politique, la pièce d’Ibsen surfe sur des thèmes universels comme l’amour, la mort, la jalousie, la fraternité ou la famille. Cette dernière paraît le fil conducteur de cette étrange histoire. Lors de son retour d’un séjour en montagne, un écrivain tourmenté (Alfred) avertit son entourage de sa renonciation à écrire. Sa femme (Rita) et sa demi-sœur (Asta) sont déstabilisées par cette « transformation », née de la volonté soudaine d’Alfred - ayant le sentiment d’avoir négligé sa progéniture - de privilégier l’éducation de leur fils « Eyolf » [d’où le nom de la pièce]. L’émoi de ces deux femmes qui affrontent cette situation nous est suggéré par une discrète gestuelle et leur positionnement sur scène. Un décor raffiné et simple, le jeu naturel des comédiens dans des costumes actuels [la pièce date du XIXe siècle] ainsi qu’un jeu progressif de lumières offrent une forme théâtrale à la fois réaliste et stylisée à cet Eyolf.

© Marc Casal-Liatier  Eyolf  [Quelque chose en moi me ronge]

Au fil d’un système narratif qui met en exergue les contradictions de cet improbable trio dont l’on devine la fragilité dès le début de la pièce, les personnages (notamment Alfred et Rita) s’échappent peu à peu de ce silence, tentant par la parole de sortir de ce qui les ronge [l’explicite sous-titre d’Eyolf est Quelque chose en moi me ronge]. Rita révèle à Alfred son animosité envers Asta et sa secrète culpabilité de ne pouvoir placer Eyolf - qui lui fait pitié - au centre de sa vie. Toute la pièce est imprégnée par le sentiment diffus de mal-être des principaux personnages dont la vie semble guidée par la fatalité. (Les secrets de famille d’Alfred, comme l’accident d’Eyolf ou la filiation d’Asta, renforcent cette impression.) L’arrivée inquiétante d’une vieille au regard perçant (la Demoiselle aux rats) et d’un chien noir (Max) chez Rita et Alfred marquent Eyolf d’une touche fantastique, qui culmine avec la mort expressionniste de l’enfant dans les flots. Au final, l’on est plongé dans le climat  fascinant d’une pièce propulsée par une forme poétique élégante, des valeurs humanistes et une description minutieuse de la solitude des êtres. Pour affronter les malheurs du monde, l’être est sans cesse  invité à un dépassement, à opérer une « transformation », selon le leitmotiv de la pièce.
Spectacle émouvant et superbe, Eyolf est à l’image du théâtre d’Ibsen : mystérieux et humaniste.

durée : 1 h 40

Eyolf  [Quelque chose en moi me ronge] de Henrik Ibsen
Mise en scène : Hélène Soulié
Théâtre de l’Aquarium
Cartoucherie, Route du Champ-de-Manœuvre
Paris 12e
du mardi au samedi (20 h 30), le dimanche (16 h)


du 12 février au 3 mars 2013


© Marc Casal-Liatier Eyolf [Quelque chose en moi me ronge]



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