Au Théâtre de Poche-Montparnasse (Paris 6e) Emmanuel Gaury et Véronique Viel mettent en scène Château en Suède, première pièce de Françoise Sagan (1935-2004). Incisif et poétique, ce spectacle crépusculaire convie le spectateur - entre comédie et conte vaudevillesque - à redécouvrir les thèmes clés de l'oeuvre de l'auteure de Bonjour tristesse ! Publiée en 1960, l'histoire de Château en Suède se profile des plus baroques. Dans un château encerclé de neige, une famille excentrique (les Falsen) reste prisonnière jusqu'au printemps, en compagnie d'un invité surprise. Entre vrais et faux cadavres, la châtelaine désœuvrée s'amuse à séduire un cousin transi de froid et d'amour, sous le regard complice de son marri bourru et de son frère incestueux. A travers le pittoresque d'une famille d'aristocrates dégénérés et la description douce et cruelle de leurs jeux de marivaudage Françoise Sagan renoue dans Château en Suède avec les thèmes démoniaques et romanesques qui ont fait sa réputation mondiale : le cynisme des nantis, l’ambiguïté des sentiments et le jeu de séduction, leur part d’ombre, de cruauté et de vampirisme mais aussi le plaisir masochiste et la connivence issue de relations intimes et difficiles d'accès. Rythmée et espiègle, la mise en scène de Véronique Viel et Emmanuel Gaury nous entraîne dans un bal coquin tourbillonnant à six comédiens dans lequel inceste, désir, douceur, hypocrisie et violence forment un cocktail théâtral détonnant. Evoluant dans un décor sobre et portant des costumes d'une autre époque, les comédiens s'inscrivent pleinement dans ces personnages loufoques à la fois sanguins, sensuels et cérébraux, obsédés par le désir ou par l'idée de le conserver coûte que coûte. Et même si l'esthétique et le contexte théâtral de Château en Suède lorgne davantage vers des personnages à la Marivaux ou même vers le Bal des Vampires (!) de Polanski, l'on y retrouve la même ironie légère et glacée, le même désenchantement hédoniste et intellectuel caractéristique chez l'auteure de La Chamade, qui à travers ses autres romans ou pièces n'a eu de cesse de décrire sur un mode à la fois tendre et moqueur les turpitudes amoureuses de la haute bourgeoisie. S'inscrivant subtilement dans le jeu raffiné des apparences et forcés de se côtoyer, sans vraiment s'apprécier les personnages de Château en Suède peuvent faire songer à ceux des Fâcheux de Molière. L'agacement et l'agressivité pointe derrière la légèreté et la spiritualité brillante des propos. En une intéressante progression narrative l''on découvre au fil du spectacle la limite et l'usure de ce jeu complexe de manipulations initié par ces hôtes à la fois nantis, grotesques, intelligents et pervers. Se faufilant parfaitement dans leurs rôles, les six comédiens nous suggèrent avec grand talent le désarroi psychologique et l'ambivalence des sentiments de leurs cocasses et savoureux personnages. Au final, ce spectacle constitue une double surprise. Il met en exergue une pièce peu jouée du répertoire théâtral de Sagan. En outre, il nous rappelle le penchant aventureux de l'auteure pour le réalisme de Strindberg, la poésie d'Ibsen et la bouffonnerie tendre des romantiques.
durée : 1 h 15
durée : 1 h 15
Château en Suède, une pièce de Françoise SAGAN
Mise en scène : Emmanuel GAURY et Véronique VIEL
Mise en scène : Emmanuel GAURY et Véronique VIEL
Avec Odile BLANCHET, Bérénice BOCCARA, Gaspard CUILLÉ, Emmanuel GAURY, Sana PUIS, Benjamin ROMIEUX
Théâtre de Poche-Montparnasse
75, boulevard du Montparnasse
Paris 6e
horaires : du mardi au samedi à 19 h, le dimanche à 15 h
Relâche le 8 et 25 décembre, le 1er, 25 et 31 janvier, le 1er et 2 févrierjusqu'au 9 février 2025
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