L’histoire de Nous aurions pu être amis se passe en Russie à la fin du XIXe siècle, et plus précisément dans le pavillon d’un hôpital : la salle 6 qui accueille des aliénés. A travers les différents costumes loufoques endossés par le comédien Christophe Charrier nous suivons la métamorphose physique et psychologique du docteur Raguine et de ses deux patients, Yvan et Moïsséïka. Il en résulte un cocktail détonant car au fil de cette « tragi-comédie » carcérale le spectateur découvrira que ces trois hommes différents ont chacun un compte à régler avec la société et surtout avec eux-mêmes.
A travers ces trois personnages révoltés ou possédés jaillit la dimension puissamment dostoïevskienne de la nouvelle de Tchekhov. Subtilement par l'intonation, la gestuelle ou la danse, Christophe Charrier se fait le passeur de cette « folie », de celle propre à l'institution mais aussi de celle des hommes, qu'elle soit celle du cynique et fantasque docteur Raguine ou celle des deux internés ruminant leur vie et réinventant sans discontinuité le monde comme deux bouffons venant de sortir d'une pièce d'Ionesco ou plutôt de Beckett.
Dans un décor sobre et à travers une mise en scène fluide le comédien au masque interprète ces personnages grinçants animés par une soif de vie, nous laissant deviner leurs zones de perversité, que ce soit à travers le discours mécanique et parfaitement huilé de Raguine ou au fil du constant apitoiement de Yvan et Moïsséïka sur leur misère et celle du monde. De ce voyage au bord de la folie personne n'en sortira indemne. Et ce joli spectacle, mélange de cruauté et de compassion, constitue une excellente occasion de découvrir un Tchekhov plus confidentiel, à la fois proche de Gogol et de Dostoïevski.
D'une certaine façon La Salle no 6 préfigure ce que sera plus tard la psychiatrie soviétique. L'on peut aussi y percevoir l'appréhension de systèmes totalitaires absurdes, comme ceux décrits quelques décennies plus tard dans l'emblématique Le Mandat (1924) par le dramaturge Nikolaï Erdman. Les spécialistes de Tchekhov rappellent généralement que cette nouvelle s'inscrit dans la période dépressive du célèbre auteur de La Cerisaie, soulignant la détérioration de son état de santé ainsi que son amertume à la suite de son enquête sur le bagne de l'île de Sakhaline.
durée : 1 h 15
Nous aurions pu être amis, d'après La salle n°6 d'Anton Tchekhov
Mise en scène : Brigitte Charrier
Avec Christophe Charrier
Théâtre La Croisée des Chemins (salle Belleville)
120, rue Haxo
Paris 19e
horaires : vendredi (19 h), samedi (17 h)
jusqu'au 15 juin 2024
Christophe Charrier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire