Nancy, début de l’été… et Sophie, dite Fifi, 15 ans, est coincée dans son HLM dans une ambiance familiale chaotique. Quand elle croise par hasard son ancienne amie Jade, sur le point de partir en vacances, Fifi prend en douce les clefs de sa jolie maison du centre-ville désertée pour l’été. Alors qu’elle s’installe, elle tombe sur Stéphane, 23 ans, le frère ainé de Jade, rentré de manière inattendue. Au lieu de la chasser, Stéphane lui laisse porte ouverte et l’autorise à venir se réfugier là quand elle veut…
Fifi
Sans la pesanteur naturaliste d'une étude sociale, et encore moins les clichés à la mode pour évoquer les quartiers HLM dans les cités problématiques, les réalisateurs ont fait le choix d'inscrire leur film en dehors de codes misérabilistes. Dans Fifi, ces derniers ne nous dissimulent pourtant en rien le caractère acerbe et déstructuré de cette famille dans laquelle l'adolescente, tel un chat mouillé, passe son temps à partir et revenir. La notion de fragilité financière et l'idée que le travail est un luxe parcourent discrètement ce film intimiste et social où l'on voit Fifi chaparder des paquets de cigarettes pour dépanner son frère.
Fifi
A travers ce personnage juvénile de Fifi Jeanne Aslan et Paul Saintillon nous décrivent le quotidien d'une jeune fille d'aujourd'hui « asphyxiée » par sa mère, ses soeurs et leurs enfants brailleurs. Pourtant, malgré ce tableau peu engageant, le personnage de Fifi ne nous apparaît pas complètement en rupture avec son milieu et sous ses dehors plutôt réservés l'on devine une certaine tendresse pour sa fratrie. Quant au personnage que l'on pourrait qualifier de « providentiel » de Stéphane, il nous apparaît un peu dans le long métrage comme l'antithèse de cette famille. Par sa gentillesse naturelle et sa façon à la fois simple et élégante de communiquer avec Fifi, il se rapproche d'un personnage rohmérien, tranchant avec la rudesse formelle du milieu familial de Fifi.
Fifi
Avec simplicité et un certain charisme Quentin Dolmaire interprète ce jeune adulte, tiraillé entre ses études et son attirance pour une adolescente de 14 ans. (L'acteur incarne l’un des personnages principaux dans la série OVNI(S) sur CANAL+). Quant à Céleste Brunnquell, que l'on a pu découvrir dans l'excellent film Les Eblouis (2019) de Sarah Suco, elle interprète avec beaucoup de réalisme et d'authenticité un personnage adolescent, à la fois tranquille et rebelle. L'on signalera aussi la qualité de jeu des autres personnages dits « secondaires » , comme celle de Chloé Mons, en mère indigne délicieusement givrée avec un petit air à la Iggy Pop ou la courte mais tonique prestation de Laurent Poitrenaux dans le rôle désopilant d'Adrien.
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Plutôt qu'explorer un conflit larvé entre une adolescente et son entourage familial, comme c'était le cas par exemple dans Ava (2017), le très beau film, imprégné de réalisme magique, de Léa Mysius, les réalisateurs ont choisi un cheminement cinématographique autre mais tout aussi séduisant : décrire une relation amicale voire amoureuse à travers le prisme des différences de classe, voire de l'interdit. Dans leur façon de filmer et de « sentir » les personnages, les réalisateurs se rapprochent aussi d'un certain cinéma intimiste contemporain d'orientation sud-américaine. Dans Fifi l'on pourra également déceler un côté ironique et un peu hitchcockien empruntant au film de genre comme dans la scène amusante où Stéphane trouve Fifi dans sa baignoire, après un jeu de pistes où il découvre une à une des affaires à elle dans l'appartement des parents.
Poétique, incisif, souvent drôle, le film rappelle un peu par son climat entre chien et loup et ses situations cocasses John From (2015) du réalisateur portugais Joao Nicolau, petit film d'auteur qui évoquait la singulière attraction d'une jeune fille pour un quadragénaire célibataire. Quoique le film de Nicolau lorgnait franchement vers le réalisme fantastique l'on trouve dans Fifi le même poétique et subtil élan pour « raconter » une sorte de conte social. Comme dans John From l'on retrouve dans Fifi cette même langueur estivale, cette similaire interrogation à la fois jouissive et douloureuse sur le temps qui passe.
Fifi
Dans le film de Jeanne Aslan et Paul Saintillon, la maison des parents devient lieu stratégique, cocon où Stéphane et Fifi à l'abri du monde peuvent travailler, échanger, refaire le monde. L'image léchée du film nous la montre inondée par la lumière, avec son petit jardin convivial et à l'intérieur ses pièces ouvertes et ses meubles en bois sans prétention, abritant des livres. Sans luxe ostentatoire, c'est pourtant une maison d'architecte dans le style d'Alvar Aalto, simple et chaleureuse, à l'image d'une certaine façon de Stéphane, qui joue du Schubert au piano.
Dans son habile façon de juxtaposer ces deux environnements, celui de Stéphane et celui de Fifi, le film nous suggère avec finesse le décalage social existant entre classes moyennes et classes populaires. L'on recommandera chaudement ce petit film d'auteur pour l’alchimie du jeune duo d’interprètes principaux et aussi pour son attachant réalisme poétique et social.
durée : 1 h 50
Fifi, un film de Jeanne Aslan et Paul Saintillon, 2021, France
Avec Céleste Brunnquell, Quentin Dolmaire, Ilan Scherman, Chloé Mons, Laurent Poitrenaux
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