lundi 14 mars 2022

Wonder Woman enterre son papa


Dans Wonder Woman enterre son papa  Sophie Cusset aborde la réalité grinçante et mercantile des Ehpad. Mis en scène au Théâtre de Belleville, Wonder Woman enterre son papa est un curieux spectacle ovni oscillant  entre condition  dérisoire,  cruauté de l'existence mais aussi tendresse et fraternité.
L'obsession de la rentabilité  au sein des Ehpad, le jargon psychologique des équipes soignantes, l'aspect parfois infantilisant des activités de loisirs mais surtout le manque de personnels et les multiples dysfonctionnements qui en découlent sont des thèmes qui nourrissent puissamment l'univers de  Wonder Woman enterre son papa. 

Wonder Woman enterre son papa - Théâtre de Belleville

Subtilement, inspirée en partie par l'expérience malheureuse de son père dans un  Ehpad, Sophie Cusset nous propose là un spectacle tonique dans lequel perce une certaine révolte mais aussi  une tendresse profonde pour les personnes âgées. Cet intéressant spectacle se révèle  sous la forme d'un cabaret à la fois furieusement gériatrique... et glamour ! Surfant constamment entre comédie burlesque et  vision tragique de l'existence Wonder Woman enterre son papa  se goûte saucissonné entre chansons populaires et dialogues courts et ciselés. La vie des retraités, autant que les petits arrangements et doutes de la hiérarchie (directrice, aide-soignant, stagiaire, animateur ), nous y est décrite comme un menu improbable mais suffisamment poivré pour que l'on s'y intéresse.

Wonder Woman enterre son papa - Théâtre de Belleville

La metteuse en scène a privilégié un mode théâtral de communication à la fois rapide et drôle  mais pouvant aussi être grave et émouvant. Entre  télé nasillarde et  repas vite avalé de flambi   les comédiennes croquent habilement ces personnages excentriques et solitaires qui peuplent pour une bonne part les maisons de retraite.  L'on signalera notamment la scène épique de lecture théâtrale dans laquelle la stagiaire embarrassée répond du mieux qu'elle peut au babillage jouissif et érudit d'une des pensionnaires. Egalement,  Wonder Woman enterre son papa nous suggère que  cette perpétuelle récréation langagière qu'offre le cadre cloisonné de la maison de retraite dégage  une forte théâtralité. 
On pourrait parler de  « recréation du langage ». 

Wonder Woman enterre son papa - Théâtre de Belleville

En effet, les conversations des Ehpad, surtout en environnement Alzheimer, n'ont rien à envier aux dialogues cocasses d'un Ionesco, d'un Beckett, d'un Dubillard   et autres princes consorts de l'absurde.   Par la dérision et l'humour un spectacle comme Wonder Woman enterre son papa  contribue  à  porter un regard  plus humain sur ces maisons de retraite  bondées et au personnel peut être compétent mais réduit  et souvent à cran.  Dès lors l'on peut légitimement se poser la question si elles ne sont pas sont vouées à une certaine impasse. Sous la forme d'une enquête minutieuse,  un livre récent  (Les Fossoyeurs*)  pointait d'ailleurs   les dérives lucratives de certains Ehpad du secteur privé.

Wonder Woman enterre son papa - Théâtre de Belleville

Sous les couleurs pailletées du cabaret musical  Sophie Cusset permet une  réflexion salutaire, rappelant par l'humour la pingrerie alimentaire de bon nombre de ces Ehpad, les horaires hallucinants qu'ils imposent à leurs pensionnaires ou encore  en plus hard le marketing postEhpad des devis d'enterrement.    Sans doute tout le charme et l'attractivité de ce spectacle sans prétention  réside dans sa capacité naturelle d'inscrire les personnes âgées dans un climat théâtral puissant à la fois grave et désopilant. L'on notera aussi l'enchaînement rapide des scénettes, le bon équilibre entre chansons et dialogues  et la fraîcheur de l'ensemble de l'espace scénique  (décor, lumières, perruques, costumes).  

* Victor Castanet, Les fossoyeurs - Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, document, éditions Fayard, 400 pages, 2022 

durée : 1 h 05

Wonder Woman enterre son papa
Texte et mise en scène : Sophie Cusset
Avec Audrey Bertrand, Sophie Cusset, Robin Causse, Delphine Raoult 
Collaboration à la mise en scène : Gilles Ostrowsky

Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du Temple
Paris 11e
horaires : lundi (21 h 15), mardi (19 h 15), dimanche (17 h)

jusqu'au 29 mars 2022





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