Dans Wonder Woman enterre son papa Sophie Cusset aborde la réalité grinçante et mercantile des Ehpad. Mis en scène au Théâtre de Belleville, Wonder Woman enterre son papa est un curieux spectacle ovni oscillant entre condition dérisoire, cruauté de l'existence mais aussi tendresse et fraternité.
L'obsession de la rentabilité au sein des Ehpad, le jargon psychologique des équipes soignantes, l'aspect parfois infantilisant des activités de loisirs mais surtout le manque de personnels et les multiples dysfonctionnements qui en découlent sont des thèmes qui nourrissent puissamment l'univers de Wonder Woman enterre son papa.
Subtilement, inspirée en partie par l'expérience malheureuse de son père dans un Ehpad, Sophie Cusset nous propose là un spectacle tonique dans lequel perce une certaine révolte mais aussi une tendresse profonde pour les personnes âgées. Cet intéressant spectacle se révèle sous la forme d'un cabaret à la fois furieusement gériatrique... et glamour ! Surfant constamment entre comédie burlesque et vision tragique de l'existence Wonder Woman enterre son papa se goûte saucissonné entre chansons populaires et dialogues courts et ciselés. La vie des retraités, autant que les petits arrangements et doutes de la hiérarchie (directrice, aide-soignant, stagiaire, animateur ), nous y est décrite comme un menu improbable mais suffisamment poivré pour que l'on s'y intéresse.
Wonder Woman enterre son papa - Théâtre de Belleville
La metteuse en scène a privilégié un mode théâtral de communication à la fois rapide et drôle mais pouvant aussi être grave et émouvant. Entre télé nasillarde et repas vite avalé de flambi les comédiennes croquent habilement ces personnages excentriques et solitaires qui peuplent pour une bonne part les maisons de retraite. L'on signalera notamment la scène épique de lecture théâtrale dans laquelle la stagiaire embarrassée répond du mieux qu'elle peut au babillage jouissif et érudit d'une des pensionnaires. Egalement, Wonder Woman enterre son papa nous suggère que cette perpétuelle récréation langagière qu'offre le cadre cloisonné de la maison de retraite dégage une forte théâtralité.
On pourrait parler de « recréation du langage ».
En effet, les conversations des Ehpad, surtout en environnement Alzheimer, n'ont rien à envier aux dialogues cocasses d'un Ionesco, d'un Beckett, d'un Dubillard et autres princes consorts de l'absurde. Par la dérision et l'humour un spectacle comme Wonder Woman enterre son papa contribue à porter un regard plus humain sur ces maisons de retraite bondées et au personnel peut être compétent mais réduit et souvent à cran. Dès lors l'on peut légitimement se poser la question si elles ne sont pas sont vouées à une certaine impasse. Sous la forme d'une enquête minutieuse, un livre récent (Les Fossoyeurs*) pointait d'ailleurs les dérives lucratives de certains Ehpad du secteur privé.
Sous les couleurs pailletées du cabaret musical Sophie Cusset permet une réflexion salutaire, rappelant par l'humour la pingrerie alimentaire de bon nombre de ces Ehpad, les horaires hallucinants qu'ils imposent à leurs pensionnaires ou encore en plus hard le marketing postEhpad des devis d'enterrement. Sans doute tout le charme et l'attractivité de ce spectacle sans prétention réside dans sa capacité naturelle d'inscrire les personnes âgées dans un climat théâtral puissant à la fois grave et désopilant. L'on notera aussi l'enchaînement rapide des scénettes, le bon équilibre entre chansons et dialogues et la fraîcheur de l'ensemble de l'espace scénique (décor, lumières, perruques, costumes).
* Victor Castanet, Les fossoyeurs - Révélations sur le système qui maltraite nos aînés, document, éditions Fayard, 400 pages, 2022
durée : 1 h 05
Wonder Woman enterre son papa
Wonder Woman enterre son papa
Texte et mise en scène : Sophie Cusset
Avec Audrey Bertrand, Sophie Cusset, Robin Causse, Delphine Raoult
Collaboration à la mise en scène : Gilles Ostrowsky
Avec Audrey Bertrand, Sophie Cusset, Robin Causse, Delphine Raoult
Collaboration à la mise en scène : Gilles Ostrowsky
Théâtre de Belleville
94, rue du Faubourg du Temple
Paris 11e
Paris 11e
horaires : lundi (21 h 15), mardi (19 h 15), dimanche (17 h)
jusqu'au 29 mars 2022
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