Au Théâtre Noir André Salzet raconte Boule de suif dans une mise en scène de Sylvie Blotnikas. A travers une prestation théâtrale simple, habitée et suggestive le comédien nous rappelle la modernité et l’élan humaniste de la célèbre nouvelle de Guy de Maupassant.
Boule de suif fut publiée en 1880 dans le recueil Les Soirées de Médan. Le récit est tout imprégné d'un naturalisme noir et cinglant, finalement guère éloigné de celui de l’auteur de L’Assommoir - l'on songe spontanément à la fameuse exclamation du personnage Claude Lantier dans Le Ventre de Paris (1873) [autre roman de Zola] : Quels gredins que ces honnêtes gens ! Boule de suif est un récit court à la fois triste et cocasse avec en toile de fond, comme chez Zola ou Mirbeau , la dénonciation de l’hypocrisie et de la mesquinerie humaine. Véritable homme orchestre André Salzet campe 10 personnages, nous narrant par le menu leur singulier voyage, de la diligence - partie de Rouen - à l’auberge normande campagnarde. Ils fuient en plein froid hivernal les rigueurs de la guerre franco-prussienne de 1870-71. Subtilement, pendant tout le spectacle, le comédien, excellent narrateur, adopte un ton juste et débonnaire, sans mimique appuyée ou gestuelle simiesque - ce qui aurait eu comme effet théâtral indésirable de diaboliser d’emblée les personnages gravitant autour de la jeune femme prostituée répondant au curieux surnom de Boule de suif.
André Salzet - Boule de suif - Théâtre Noir
Dans une intéressante progression narrative André Salzet, dont le jeu est marqué par un timbre précis et rapide aux intonations douces, nous invite à saisir (sans prise de tête !) toute la complexité de cette histoire de cohabitation forcée entre voyageurs avec en arrière-plan une affaire de sexe, de chantage et de guerre. En effet, l'officier prussien prend en otage le petit groupe, empêchant la diligence de repartir tant que Boule de suif se refuse à lui. Dans ce récit à la fois psychologique, cruel, divertissant et social Maupassant s’attache à décrire l’attitude compatissante et indignée des voyageurs envers la jeune femme, puis dans un second temps leur colère et leur agacement face au refus de Boule de suif de céder aux avances du militaire. En outre, le romancier met en opposition le courage patriotique (et bonapartiste) de Boule de suif et la lâcheté et la désinvolture du petit groupe hétéroclite, constitué de représentants de la politique, de l'Eglise, de l'aristocratie et du commerce. Doté d'un timbre expressif et d'une élégance naturelle André Salzet donne donc chair à tous ces personnages du XIXe siècle à la fois terriblement humains et croquignolesques. Nous rappelant la belle symbolique des repas pris dans la diligence, qui scelle le divorce définitif entre le monde des voyageurs et celui de la femme galante il nous montre, interprète fidèle du verbe maupassien, l’égoïsme, l’avidité et la prétention de cette microsociété. Davantage : il nous suggère de façon magistrale l’écart flagrant entre le monde des beaux discours, des apitoiements de façade (si actuel !) et celui de la véritable compassion humaine, ce qui donne au récit, servi par le jeu talentueux d'André Salzet, son côté si alerte et moderne.durée : 1 h
Boule de suif, de Guy de Maupassant
Adaptation/Mise en scène : Sylvie Blotnikas et André Salzet
Interprété par André Salzet
Lucernaire (Théâtre Noir)
53, rue Notre-Dame-des-Champs
Paris 6e
horaires : du mardi au samedi à 18 h 30 et le dimanche à 15 h
jusqu'au 18 octobre 2020
A signaler : Rencontre avec l'équipe artistique le vendredi 18 septembre 2020 à l'issue de la représentation
Frontispice d'une édition de Boule de Suif
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