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C'est un blog culturel généraliste qui paraît tous les lundis depuis 2011. Vous y trouverez des chroniques dans les domaines suivants : Livres, Théâtre, Cinéma, Musique, Arts, Architecture, Patrimoine/Tourisme.
Excellente lecture !
(Thierry de Fages)
Premier long métrage de Rohena Gera Monsieur évoque finement la fracture des classes sociales dans l’Inde d’aujourd’hui. Intimiste et acerbe - pour sa façon de décrire le parcours d’une jeune veuve campagnarde engagée comme domestique à Bombay chez un homme riche -, le film reflète toutes les contradictions qui assaillent le pays de Ganesha.
Les vexations, le peu de considération - parfois les mauvais traitements - infligés aux domestiques en Inde constitue un thème d’actualité toujours fort et récurrent. Et le film de cette réalisatrice indienne est d’autant plus intéressant qu’il évite les clichés misérabilistes et documentaires habituels pour évoquer cette réalité sociale problématique.
Monsieur
L’histoire de Monsieur a des couleurs de drame amoureux métaphysique et intimiste, contant la relation compliquée entre un fils (Ashwin) d’une haute famille de Bombay et sa nouvelle domestique (Ratna). Si le film peut paraître parfois un peu lent, surtout au début, avec ses dialogues espacés et rares, il n’en est pas moins puissamment évocateur par sa force de suggestion psychologique et sociale. Gera fait avant tout passer son sentiment d’injustice face au sort de ces servantes par une belle image captative aux éclairages étudiés, par de la musique (celle de Wong Kar Wai) et par de gros plans de visages, tout cela rappelant par intermittences les difficultés des relations amoureuses et l’interdit castrateur qui pèse sur les relations entre classes différentes dans la société indienne.
Monsieur
A propos de son long métrage, la réalisatrice a cet intéressant commentaire sur sa propre démarche cinématographique: « Je voudrais permettre aux silences dans le film de parler de tout ce qui ne peut pas être dit. J’aime l’utilisation de la musique chez Wong Kar Wai où nous ressentons la complexité des émotions, sans explication verbeuse. La musique dans le film doit être aussi proche de la pensée, ce qu’on ne peut retranscrire par l’image ou les mots. » En tout cas, la forme de Monsieur s’écarte du documentaire, semblant orientée à la fois par un certain humanisme féministe et une forte vision esthétique de l’Inde plurielle.
Monsieur
Elle en explore toujours sur ce mode narratif suggestif caractéristique les barrières invisibles, que ce soit à travers le contraste existant entre ville et campagne ou l’évocation du marché des étoffes où Rana se rend, reflétant l'opposition symbolique avec l’environnement hyperconnecté dans lequel évolue Ashwin, écartelé entre son bureau et sa voiture. Comme dans le film américain Devine qui vient dîner... (1967) de Stanley Kramer avec Sidney Poitier,Gera explore la part souffreteuse de non-dit de son propre pays. Par sa narration suggestive et par le choix d'excellents acteurs - Tillotama Shome (Ratna) et Vivek Gomber (Ashwin) -, Monsieur parvient sans manichéisme à relancer brillamment un débat sur un sujet encore tabou en Inde.
durée : 1 h 40
Monsieur, un film de Rohena Gera, Inde, France, 2018
Avec Tillotama Shome (Ratna), Vivek Gomber (Ashwin)
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