Pièce phare de Stanislav Stratiev (1941-2000), L'Autobus (1980) est une satire du système bureaucratique des démocraties populaires sous l’ère communiste. Inspirée par la modernité du texte corrosif et malicieux, Laurence Renn Penel en propose une mise en scène originale et décapante au Théâtre 13 / Seine.
Stanislav Stratiev est considéré en Bulgarie comme le maître de l’absurde. Ce journaliste, qui s’est tourné vers le théâtre dès 1974, a toujours pris dans ses textes un malin plaisir [La veste de daim (1976), La vie bien qu'elle soit courte (1986)] à élaborer d’abracadabrantes et subtiles paraboles pour dénoncer de façon voilée l’absurdité coercitive du régime bulgare. Après tout Mrozek en Pologne ou Kundera en Tchécoslovaquie employèrent les mêmes modes - salutaires - d'expression pour provoquer chez le peuple prise de conscience et sentiment de résilience.
La dimension sociale et politique imprègne puissamment (sans raser !) l’œuvre théâtrale de Stratiev. Mais il y a aussi sa poésie un peu provinciale et cette séduction étrange et amusante, qui rend ses comédies attachantes et toniques. L'Autobus évoque donc le voyage surréaliste de passagers embarqués par un chauffeur fou aussi invisible qu'omniprésent. Ce dernier incarne de façon grinçante le système communiste bulgare des années 1970-80. Il en symbolise à la fois la corruption, la bêtise et la cruauté. Dans cette comédie emblématique, Stratiev fait beaucoup d'allusions à la vie quotidienne bulgare (logement, divorce, alcool, pouvoir d'achat), au mal-vivre irrémédiable de ses concitoyens. D'emblée, L'Autobus nous suggère le climat de frustration de ses occupants chicaniers. Au début de la pièce, juste avant le départ du bus délabré, nous voyons les 9 passagers s'installer, échangeant déjà des propos aigres.
En outre, subtilement, dès le début de la pièce, Stratiev nous laisse deviner les futures têtes de Turcs de son huis-clos socio-politique, notamment en insistant sur le personnage décalé et un peu snob du violoncelliste tiré à quatre épingles (le virtuose). Le spectateur ne verra jamais (bien sûr !) le capricieux chauffeur du bus - métaphore du Pouvoir en place -, qui par ses incessants changements de direction et ses comportements dangereux va semer progressivement la panique chez les voyageurs. Visiblement, ce qui intéresse Stratiev dans L'Autobus, c'est de croquer des gens simples - paysan goguenard, couple urbain stressé, amoureux blasés, fonctionnaire hypocrite, faisant office de sous-fifre du chauffeur... - et de les confronter à des situations paroxystiques de survie psychologique, interrogeant autant leur passivité que leur lâcheté face au pouvoir.
Vivant constamment dans la crainte que le bus finisse dans un ravin, chacun - sans succès - proposera au reste du groupe des solutions pour amadouer le chauffeur : gastronomie improvisée, faveur sexuelle ou concert improvisé... Propulsé par une sobre et dynamique mise en scène centrée sur un performant travail choral d'acteurs, le spectacle se révèle une belle réussite. Comme Le Revizor (1836) du russe Gogol, le texte de l'auteur bulgare prend pleine valeur de tragi-comédie burlesque. L'Autobus dénonce autant l'absurdité du système communiste que le manque de courage et l'absence totale de solidarité des passagers. Propulsé par une mise en scène inventive et 9 comédiens performants, L'Autobus s'avère un des spectacles les plus aboutis de cette rentrée théâtrale ! En outre, le théâtre de Stratiev est très peu connu en France. C’est l’occasion à travers ce désopilant texte sur la mesquinerie humaine et l'aberration politique de découvrir un auteur majeur du XXe siècle.
durée : 1 h 30
L'Autobus, de Stanislav Stratiev
Mise en scène : Laurence Renn Penel
Avec Raphaël Almosni (l'homme), Lionel Bécimol (le virtuose), Solal Forte (l'amoureux), Gabrielle Féru (l'amoureuse), Laurent Lévy (le raisonnable), Natacha Mircovich (la femme), Gall Paillat (le déraisonnable), Christophe Sigognault (l'irresponsable) et Marc Ségala (le paysan)
Théâtre 13 / Seine
30, rue du Chevaleret
Paris 13e
horaires : du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h, relâche le lundi
jusqu'au 11 février 2018
A signaler :
Au Théâtre 13 / Seine le dimanche 21 janvier 2018 après la représentation de L'Autobus :
rencontre (entrée libre) avec Laurence Renn Penel (mise en scène), Svetlin Stratiev (fils de l'auteur), Athanase Popov (traducteur) et l'équipe artistique de L'Autobus.
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