Avec sa biographie Bram Stoker : dans
l’ombre de Dracula, Alain Pozzuoli nous
fait pénétrer dans l’intimité d’un homme complexe, partagé entre une dévorante
soif d’écriture et l’amour du
théâtre, qu’il concrétise en dirigeant le
Lyceum Theatre, la plus prestigieuse
salle de spectacle londonienne du XIXe siècle.
L’écrivain irlandais Bram Stoker (1847-1912), bien connu des amateurs de littérature gothique, est passé à la postérité - avec son affreux vampire transylvanien - comme l’auteur de Dracula (1897). Alain Pozzuoli [Bram Stoker, prince des ténèbres (1989) La bible Dracula (2012)], lui consacre une excellente monographie, proposant un étonnant portrait psychologique et un foisonnant document sur la vie artistique et littéraire anglaise de la seconde partie du XIXe siècle et du début du XXe siècle.
Ce Bram Stoker : dans l’ombre de Dracula débute
par une enfance assez sinistre dans les brumes de la région dublinoise. En
effet, la maladie cloue au lit le jeune Stoker,
qui naît dans un pays ravagé par la famine, jusqu’à l’âge de 8 ans. Sa mère, Charlotte, lui conte fréquemment de
sinistres légendes irlandaises. Le décor semble planté, et Pozzuoli
s’interroge ainsi dans son
livre : Dans un tel environnement,
comment ne pas être sensible aux effluves du monde de l’au-delà, au parfum des
ténèbres et du surnaturel qui marqueront toute son œuvre à venir ?
(p. 27)L’écrivain irlandais Bram Stoker (1847-1912), bien connu des amateurs de littérature gothique, est passé à la postérité - avec son affreux vampire transylvanien - comme l’auteur de Dracula (1897). Alain Pozzuoli [Bram Stoker, prince des ténèbres (1989) La bible Dracula (2012)], lui consacre une excellente monographie, proposant un étonnant portrait psychologique et un foisonnant document sur la vie artistique et littéraire anglaise de la seconde partie du XIXe siècle et du début du XXe siècle.
Slains Castle, qui lui inspira le château de Dracula
l'abbaye de Ste-Hilda
Puis, nous suivons par la lecture de cette bio agréable à
lire - style limpide et courts
chapitres - le parcours d’un homme dont la vie semble paradoxalement à la fois
anodine et étrange : étudiant, fonctionnaire, pigiste, chroniqueur, gérant
de théâtre, romancier… Stoker nous y paraît comme un être plutôt tenace,
courageux, amoureux des voyages avec un goût immodéré du bizarre - et du
théâtre - à la fois imprégné d’un conformisme
social et d’une certaine rigidité. Deux faits marquants balisent le cheminement
de ce précurseur de la littérature gothique : la célébrité que lui apporte
son roman Dracula et le Lyceum Theatre, lieu
stratégique de rencontres qu’il dirige avec Henry Irving. Il y rencontre hommes politiques, écrivains, artistes, journalistes et actrices à la mode du
tout-Londres : Winston Churchill,
George Bernard Shaw, Henry Irving, le Premier Ministre Gladstone, l’actrice Ellen Terry, le peintre préraphaélite Burne-Jones, le mage sulfureux Aleister Crowley... Quant à ses récits,
ils vagabondent entre thriller, roman d’aventures et genre fantastique. (A
l’époque, Conan Doyle (le Retour
de Sherlock Holmes [1905], Edgar Poe (Histoires extraordinaires) [1840]
et Robert Louis Stevenson (Docteur Jekyll et
Mister Hyde) [1886] surfent
sur des genres proches.) L’histoire de Dracula,
habilement mise en œuvre sur le plan stylistique, est écrite sous la forme
originale d'un Journal et de lettres. Pozzuoli
voit dans ce roman, aux langueurs occultes et symboliquement sexuel, l’œuvre la plus personnelle de Stoker.
St George's Square où mourut Bram Stoker en avril 1912
le Lyceum Theatre à Drury Lane, Wellington Street, The Strand
Mettant l’accent sur certains
thèmes fréquents de l’œuvre
stokérienne, Pozzuoli place l’homosexualité
de l’écrivain comme toile de fond de sa vie et de son œuvre. Ainsi, il relate le
départ précipité et cocasse de Stoker
à Londres, pour retrouver son ami Henry
Irving - et le Lyceum
Theatre -, le lendemain même de son mariage à Dublin avec Florence Balcombe, dont il aura un fils, Noël. Enfin, Pozzuoli, bien que fasciné par le
personnage Stoker en critique son
côté bourgeois et réactionnaire, dénotant chez lui certains traits du parfait
parangon d’une société victorienne, hypocrite et intolérante. D’ailleurs, il l
oppose fréquemment le Stoker vieillissant au jeune homme idéaliste, anar (?) et
épris de théâtre, auteur de lettres passionnées. Enfin, dans la dernière partie de son livre intitulée Une autre vie après la mort (Dracula prend
la relève), le biographe évoque
la longue vie médiatique de Dracula au
cinéma, à travers ses acteurs les
plus connus (Bela Lugosi, Christopher Lee), ses cinéastes expressionnistes
(F.W. Murnau, Werner Herzog), en passant par la Hammer Films, avec son impressionnante série de films consacrés au
vampire. L’on signalera également Tod
Browning (Dracula, la Marque du
Vampire) et Francis Ford Coppola
(Bram Stoker’s Dracula). Musique (chansons, livrets, comédies musicales), bande
dessinée (comics) et séries
télévisuelles (The Baron Bride), rien
ne semble échapper au mythe Dracula, de la chanson « Song For The
Vampire » d’Annie Lennox jusqu’à la récente comédie musicale (Dracula) de Kamel Ouali.
The Dracula Experience à Whitby, musée de cires illustrant les principaux personnages de Dracula, dans différents tableaux inspirés du livre
ABDO Publishing
Et ce flot sanguinolent ne semble pas près de se tarir, en ce centenaire de la
mort de Bram Stoker, avec la
sortie en 2012 de trois nouveaux films adaptés de Dracula : le Quentin Tarentino, le Dario Argento en 3D, et l’adaptation du
roman de Dacre Stoker, Dracula
l’immortel. [Dacre, arrière-petit-neveu de Bram Stoker, a écrit en 2009 la suite
officielle de Dracula (!)]
Pour l’éternité, Bram Stoker est lié à sa marionnette aux dents acérées. Pozzuoli écrit:
Stoker, comme son
personnage Dracula est peu à peu
devenu une sorte d’entité, et de par ce statut une référence presque aussi
prégnante et aussi marquante que sa propre création (p. 240)
Alain Pozzuoli, Bram Stoker : dans l’ombre de Dracula,
Pascal Galodé éditeurs, 314 pages, 2012
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