lundi 21 mai 2012

Bram Stoker, père de Dracula


Avec sa biographie  Bram Stoker : dans l’ombre de Dracula, Alain Pozzuoli nous fait pénétrer dans l’intimité d’un homme complexe, partagé entre une dévorante soif d’écriture et  l’amour du théâtre, qu’il concrétise en dirigeant le  Lyceum Theatre, la plus prestigieuse salle de spectacle londonienne du XIXe siècle.
L’écrivain irlandais Bram Stoker (1847-1912), bien connu des amateurs de littérature gothique, est passé à la postérité - avec son affreux vampire transylvanien - comme l’auteur de Dracula (1897). Alain  Pozzuoli  [Bram Stoker, prince des ténèbres (1989) La bible Dracula (2012)], lui consacre une excellente monographie, proposant un étonnant portrait psychologique et un foisonnant document sur la vie artistique et littéraire anglaise de la seconde partie du XIXe siècle et du début du XXe siècle.
Ce Bram Stoker : dans l’ombre de Dracula débute par une enfance assez sinistre dans les brumes de la région dublinoise. En effet, la maladie cloue au lit le jeune Stoker, qui naît dans un pays ravagé par la famine, jusqu’à l’âge de 8 ans. Sa mère, Charlotte, lui conte fréquemment de sinistres légendes irlandaises. Le décor semble planté, et  Pozzuoli  s’interroge ainsi dans son livre :  Dans un tel environnement, comment ne pas être sensible aux effluves du monde de l’au-delà, au parfum des ténèbres et du surnaturel qui marqueront toute son œuvre à venir ?  (p. 27)

Slains Castle, qui lui inspira le château de Dracula

l'abbaye de Ste-Hilda

Puis, nous suivons par la lecture de cette bio agréable à lire - style limpide et  courts chapitres - le parcours d’un homme dont la vie semble paradoxalement à la fois anodine et étrange : étudiant, fonctionnaire, pigiste, chroniqueur, gérant de théâtre, romancier… Stoker nous y paraît comme un être plutôt tenace, courageux, amoureux des voyages avec un goût immodéré du bizarre - et du théâtre - à la fois imprégné  d’un conformisme social et d’une certaine rigidité. Deux faits marquants balisent le cheminement de ce précurseur de la littérature gothique : la célébrité que lui apporte son roman Dracula et   le Lyceum  Theatre, lieu stratégique de rencontres qu’il dirige avec Henry Irving. Il y rencontre  hommes politiques, écrivains, artistes, journalistes et  actrices à la mode du tout-Londres : Winston Churchill, George Bernard Shaw, Henry Irving, le Premier Ministre Gladstone, l’actrice Ellen Terry, le peintre préraphaélite Burne-Jones, le mage sulfureux Aleister Crowley... Quant à ses récits, ils vagabondent entre thriller, roman d’aventures et genre fantastique. (A l’époque, Conan Doyle (le Retour de Sherlock Holmes [1905], Edgar Poe (Histoires extraordinaires) [1840] et Robert Louis Stevenson (Docteur Jekyll et Mister Hyde) [1886] surfent sur des genres proches.)    L’histoire de Dracula, habilement mise en œuvre sur le plan stylistique, est écrite sous la forme originale d'un Journal et de lettres. Pozzuoli voit  dans ce roman, aux langueurs occultes et  symboliquement sexuel, l’œuvre la plus personnelle de Stoker.

St George's Square où mourut Bram Stoker en avril 1912

le Lyceum Theatre à Drury Lane, Wellington Street, The Strand

 Mettant l’accent sur certains thèmes fréquents de  l’œuvre stokérienne, Pozzuoli place  l’homosexualité de l’écrivain comme toile de fond de sa vie et de son œuvre. Ainsi, il relate le départ précipité et cocasse de Stoker à Londres, pour retrouver son ami Henry Irving  - et le Lyceum  Theatre -, le lendemain même de son mariage à Dublin avec Florence Balcombe, dont il aura  un fils, Noël.  Enfin, Pozzuoli, bien que fasciné par le personnage Stoker en critique son côté bourgeois et réactionnaire, dénotant chez lui certains traits du parfait parangon d’une société victorienne, hypocrite et intolérante. D’ailleurs, il l oppose fréquemment  le Stoker vieillissant  au jeune homme idéaliste, anar (?) et épris de théâtre, auteur de lettres passionnées.   Enfin, dans la dernière partie de son livre intitulée  Une autre vie après la mort (Dracula prend la relève), le biographe évoque la longue vie médiatique de Dracula au cinéma, à travers ses acteurs les plus connus (Bela Lugosi, Christopher Lee), ses cinéastes expressionnistes (F.W. Murnau, Werner Herzog), en passant par la Hammer Films, avec son impressionnante série de films consacrés au vampire. L’on signalera également Tod Browning (Dracula, la Marque du Vampire) et Francis Ford Coppola (Bram Stoker’s Dracula). Musique (chansons, livrets, comédies musicales), bande dessinée (comics) et séries télévisuelles (The Baron Bride), rien ne semble échapper au mythe Dracula, de la chanson « Song For The Vampire » d’Annie Lennox  jusqu’à  la récente comédie musicale (Dracula) de Kamel Ouali.

The Dracula Experience à Whitby, musée de cires illustrant les principaux personnages de Dracula, dans différents tableaux inspirés du livre

ABDO Publishing

Et ce flot sanguinolent ne semble pas près de se tarir, en ce centenaire de la mort de Bram Stoker, avec la sortie en 2012 de trois nouveaux films adaptés de Dracula : le Quentin Tarentino, le Dario Argento en 3D, et l’adaptation du roman de Dacre  Stoker, Dracula l’immortel. [Dacre, arrière-petit-neveu de Bram Stoker, a écrit en 2009 la suite officielle de Dracula (!)]
Pour l’éternité,  Bram Stoker est lié à sa marionnette aux dents acérées. Pozzuoli écrit:
  Stoker, comme son personnage Dracula est peu à peu devenu une sorte d’entité, et de par ce statut une référence presque aussi prégnante et aussi marquante que sa propre création (p. 240) 

Alain Pozzuoli, Bram Stoker : dans l’ombre de Dracula, Pascal Galodé éditeurs, 314 pages, 2012

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