Oblomov

Au Théâtre Essaïon (Paris 4e) l'on peut découvrir  Oblomov  de LM Formentin, d’après d’Ivan Gontcharov. Mis subtilement en scène par Jacques Connort, c'est un spectacle drôle, tendre et incisif, fidèle à l'esprit de rébellion du grand roman réaliste de peinture de moeurs de la société russe, publié en 1859. Dans son adaptation LM Formentin a  privilégié  le dialogue  entre Oblomov et son valet  Zakhar.  Le spectateur est convié à un véritable  ballet verbal entre Ilya-Ilitch Oblomov, oisif propriétaire terrien - domicilié à Saint Pétersbourg -et son valet Zakhar, lui reprochant - sur un mode diplomatique -  sa léthargie.   Aristocrate rentier, Oblomov passe   ses journées à végéter de son lit au canapé, sans projet, ne vivant que dans l'instant présent. Invariablement le fidèle Zakhar  rappelle  à son maître les nombreuses obligations qu'il lui incombe  comme écrire une lettre au propriétaire ou recevoir les gens haut placés.

© Pascal Gely

Oblomov - Théâtre Essaïon

Dans la peau du maître  Alexandre Chapelon se profile très convaincant, mettant en exergue  l'aspect joyeux, entêté et un brin mélancolique  d'Oblomov, dont la   paresse pathologique qu'on lui prête constitue pour lui la forme la plus rapide d'accéder au bonheur. Quant à  Yvan Varco, il interprète avec beaucoup de finesse le rôle d'un serviteur dévoué et un peu sarcastique, otage à la fois des caprices de son maître et de la longue amitié à son égard. Quoique le spectacle se déroule sur un temps court  (environ 1 h)  il y a une belle variété de climats.  Et dans une intéressante progression narrative la mise   en scène de Jacques Connort passe par de nombreux moments réalistes et poétiques. Réceptacle de toutes les confidences d'Oblomov, le personnage de Zakhar nous apparaît  à la fois comme un camarade un peu moralisateur et un père de substitution. Ingénieusement,  la pièce fait intervenir sur un mode onirique d'autres personnages du roman de Gontcharov (la mère, Olga, la seule femme aimée d'Oblomov) joués par Zakhar, nous laissant sur l'impression que le maître se trouve en permanente interaction avec  son serviteur. 

© Pascal Gely

Oblomov - Théâtre Essaïon

Sur un plan philosophique, par sa répulsion de la vie de bureau et les atteintes qu'elle pose à sa liberté  le personnage d'Oblomov rappelle un peu celui de  Bartleby Le Scribe, du roman éponyme de Herman Melville, publié trois ans avant celui de  Gontcharov. Délicieusement régressive,  l'obstination  de Bartleby à refuser toutes les tâches qu'on lui demande sans dire véritablement    « non » évoque un peu le positionnement joueur et narquois  envers  Zakhar d'Oblomov, éternellement vautré sur son lit et attendant impatiemment  les réponses de  Zakhar. Ce jeu du chat et de la souris,  Alexandre Chapelon et Yvan Varco en sont une vivante incarnation  dans un  duo théâtral aussi tonique qu'amusant. Les deux comédiens évoluent  sur la petite scène du Théâtre Essaïon dans un décor simple mais qui  nous suggère un appartement bourgeois cosy.  

© Pascal Gely

Oblomov - Théâtre Essaïon

La gestuelle recueillie du valet et son ton courtois ; la mollesse du maître avachi sur son lit, compensée par ses envolées lyriques sur la liberté, son refus définitif des règles édictées par la société, tout semble concourir à travers ce spectacle à une puissante réflexion sur l'idée même de « décadence ». Habilement Alexandre Chapelon et Yvan Varco se nichent sur cette scène, dans cet espace confiné au parfum de serre. Le personnage d'Oblomov fait d'ailleurs songer à celui de des Esseintes du roman A rebours de Joris-Karl Huysmans, homme lettré refusant le monde comme réfugié dans les splendeurs de sa thébaïde. Quoique partageant le même dégoût pour la réalité, ses conventions sociales et obligations mondaines, Oblomov se démarque d'un des Esseintes, imprégné par la mystique et l'esthétisme. Au final l'on saluera la fraîcheur, la poésie et la vivacité d'esprit émanant de ce spectacle, qui ressuscite la figure littéraire d'Oblomov, antihéros mythique au même titre que Bartleby, Bardamu, Roquentin ou des Esseintes.

durée : 1 h 10

Oblomov,  de LM Formentin, d’après Ivan Gontcharov
Mise en scène : Jacques Connort
Avec Alexandre Chapelon et Yvan Varco

Théâtre Essaïon
6, rue Pierre-au-lard 

Paris 4e
horaires : tous les jeudis, vendredis, samedis à 21 h

jusqu'au 22 mars 2025