Dans le livre Hergé face à son fétiche Patrice Guérin, spécialiste d'Hergé, propose une approche à la fois érudite et intimiste de l'auteur des Aventures de Tintin, jetant son dévolu sur L'Oreille cassée. A partir de cet album palpitant et mystérieux aux relents de polar tropical, inspiré en partie par la guerre du Gran Chaco qui opposa la Bolivie au Paraguay, l'auteur scrute les fêlures et incertitudes de son créateur les mettant en parallèle avec l'histoire colorée et chaotique de l'album de BD. Bon nombre d'études et d'ouvrages ont été publiés à propos de Tintin et de son géniteur inspiré. Depuis la mort d'Hergé la « tintinologie » n'a fait que croître, notamment à travers la presse, les médias, les publications consacrées au fameux personnage à la houpette sans oublier les échanges sur Facebook.
Porteur d'offrandes chimu, balsa, Pérou, XIIe-XVe siècles ap. J.C.
L'album en lui-même est un véritable thriller hitchcockien teinté de surnaturel et l'auteur avec une érudition jubilatoire nous en raconte toutes les péripéties, revenant souvent sur le fameux fétiche arumbaya, merveilleux point de départ et de chute de l'histoire mais aussi objet maléfique et insaisissable porteur d'une certaine mélancolie. Patrice Guérin écrit : « Hergé s'est inspiré d'un réel objet d'art pour dessiner le fétiche arumbaya : une statuette chimu, du nom d'une civilisation précolombienne de la côte nord du Pérou. » Mystérieuse statuette contenant un secret, qui suivant les péripéties de l'histoire sera tour à tour volée, cassée, émiettée jusqu'à son retour atavique au Musée ethnographique. Soulignant à la fois la portée symbolique de l'objet et sa proximité avec l'univers personnel d'Hergé Patrice Guérin précise : « Quant à la statuette arumbaya, cassée puis reconstituée tout en restant en morceaux, elle est l'équivalent hergéen du mannequin orthopédique de Chirico. Mais Georges Remi, plus tourné vers ses propres tourments, ne représente pas les blessures de l'autre, il se dépeint lui-même à travers son fétiche et son oeuvre » (page 72).
Giorgio de Chirico, Le Vaticinateur, 1915
Dans Hergé face à son fétiche le créateur de Tintin en ce milieu des années 30 semble mal vivre sa célébrité. Au-delà des apparences l'auteur nous décrit un homme tourmenté, accablé par le travail, que l'on devine possédé par ses démons que, d'une certaine façon, il sublime et exorcise dans l'album L'Oreille cassée. Sentiment mitigé de sa fréquentation chez les scouts, possible abus sexuel au cours de sa jeunesse, expérience douloureuse de la « folie » qui ronge sa mère... Rigoureusement, à travers ces allers-retours entre réalité et fiction, l'auteur cherche à cerner à la fois la vérité de l'homme Hergé mais aussi de ce 6e album, oeuvre de BD finalement hybride à la fois pétillante et rocambolesque, sombre et métaphysique. Un univers de fantaisie qui ne s'arrête d'ailleurs pas au destin purement littéraire et médiatique de L'Oreille cassée.
En effet, Patrice Guérin nous raconte une autre incroyable histoire, celle du vol en 1979 du spécimen arumbaya lors de l'expo bruxelloise intitulée Le Musée imaginaire de Tintin. (Ce spécimen était un simple cadeau du peintre et restaurateur Maurice Lemmens rendant ainsi hommage à Hergé.) L'on ne retrouva jamais le faux fétiche chimu. Et l'auteur nous raconte de long en large cette histoire à multiples rebondissements que malicieusement certains esprits mal intentionnés pourraient intituler Le faux sceptre de Juan d'Outremont. Lieu par excellence des histoires l'univers de Tintin a encore de beaux jours devant lui ! « C’est depuis mon enfance, confiait Hergé, que j’aime raconter des histoires et que je les raconte en dessins ».
Patrice Guérin, Hergé face à son fétiche - Allers-retours entre réalité et fiction, genre (Autour de la BD), éditions 1000 Sabords, 144 pages, 2024
* Visuels et légendes in Hergé face à son fétiche - Allers-retours entre réalité et fiction
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