Au cours de tout le XIXe siècle la figure maternelle est centrale dans les imaginaires politiques français. Dans un ouvrage novateur intitulé La figure maternelle dans la vie politique française : 1789-1914, l'historienne Brigitte Demeure décortique cette histoire méconnue, l'abordant sur un mode rigoureux et original par le biais de nombreuses disciplines, dont la psychanalyse.
Grand spécialiste de la symbolique du pouvoir républicain, l'historien Maurice Agulhon* (1926-2014), notamment à travers ses ouvrages fondateurs Marianne au combat (1789-1880) et Marianne au pouvoir (1914 à nos jours) proposait une analyses subtile sur la récupération politique de l'image de la femme par la République, de la « Déesse » à la « Gueuse », en passant par Marianne à travers ses multiples symboles : sculptures, peintures, exhibitions théâtrales, bustes de mairie, caricatures, timbres-poste, mythes féminins déifiés... Brigitte Demeure s'intéresse tout autant aux allégories et métaphores maternelles mais son travail s'inscrit dans ce qui est appelé « la nouvelle histoire culturelle », comme le rappelle Françoise Thébaud dans la préface. Appréciant les ouvrages de Maurice Agulhon « elle tente d'aller là où le grand historien de la république et des institutions républicaines se refusait d'entrer 'dans la forêt des méditations socio-psychanalytiques' », comme nous le rappelle la préfacière. Dans ce livre ambitieux, l'analyse globale de Brigitte Demeure est d'autant plus défricheuse que sans verser dans la psychanalyse sauvage, elle s'appuie sur la psychohistoire, un champ de recherche historique qui propose une convergence du social et du psychologique. En outre, cette recherche aussi intéressante que volumineuse (près de 400 pages) s'appuie sur de nombreuses citations, qui nous familiarisent directement avec les mentalités des périodes étudiées - l'historienne nous présentant chaque fois le contexte socio-politique de ces écrits. Dans ces extrait l'on trouvera les personnages les plus connus (Robespierre, Napoléon, Auguste Comte, Jules Ferry, le peintre David) mais aussi d'autres plus plus confidentiels comme Etienne Cabet, le socialiste utopique - qui prônait un communisme chrétien -, créateur de la communauté d'Icarie, sorte d'allégorie de la mère idéale ou l'obscur Emile Corra, qui milite pour le culte de la mère et explique dans son opuscule La Patrie que « la patrie** est une providence sociale, naturelle, véritablement assimilée à la providence maternelle ». Omniprésent entre 1789 et 1914, le rôle de la figure maternelle dans la vie politique fait l'objet d'une étude soutenue dans ce livre, que ce soit à travers ses innombrables métaphores et allégories dans le discours public ou de la littérature d'idées qui en découle. Brigitte Demeure en explore tous les avatars : mère Nature, mère Patrie, mère Vierge, mère Nation, mère Eglise... C'est passionnant sur le plan sociologique et l'on constate que l'image symbolique de la mère à travers la maternité, qui n'est pas tout à fait celle de la thématique de la féminité, a traversé profondément tout le XIXe siècle. Par ailleurs, cette image omniprésente de la figure maternelle dans le paysage politique ne reflète en rien quelque amélioration de la situation et des droits de la femme au cours du XIXe siècle. L'image maternelle est là avant tout pour véhiculer de l'émotion, pour permettre d'adhérer plus rapidement aux codes de l'Eglise, de la patrie ou de la nation, comme dans cet extrait cocasse d'un discours prononcé par le chanoine Mulot le dimanche 14 février 1790 à Notre-Dame de Paris : « C'est à la nation que vous aller jurer d'abord d'être fidèles. A la nation ! Ah ! qu'il doit être doux pour vous ce serment ! C'est le cri de l'amour pour une mère chérie : c'est l'expression de la plus noble des passions. (...) Amour vivant de la patrie ! Tu es répandu dans l'âme de tous ces Guerriers, ton feu sacré les consume » (page 39). Sous Napoléon l'Eglise, après le purgatoire de la Révolution, revient à la mode. L'Empereur a besoin de sujets dociles qui puissent payer leurs impôts et adhérer sans réticence à la conscription. Le catéchisme impérial est aussi une habile manoeuvre politique. L'historienne écrit : « Le catéchisme impérial est fortement inspiré de celui qu'avait rédigé Bossuet, dans les écrits, duquel on retrouve de nombreuses métaphores maternelles » (page 138). Dans la dernière période étudiée l'image maternelle fait l'objet d'une récupération politique assez vigoureuse, d'autant plus chez ceux qui s'opposent aux valeurs de la république parlementaire. L'historienne écrit : « Pour Barrès et les partisans de la Ligue de la patrie française, la France, une entité maternelle archaïque et irrationnelle, semble reposer sur un piédestal, elle fait figure d'absolu ; il en est de même pour l'Action française, qui vénère une déesse France maternelle monarchique et exclusive. » (page 389).* Par ailleurs auteur de L'Opéra des Rougon-Macquart (1983), remarquable essai de rythmologie romanesque sur l'oeuvre d'Emile Zola
** E. Corra, La Patrie, Paris, Société positiviste et internationale, 1913
Brigitte Demeure, La figure maternelle dans la vie politique française : 1789-1914, éditions universitaires d'Avignon, collection En-Jeux, 432 pages, 2023
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