lundi 10 juillet 2023

Le défi d'être français

 


Dans Le défi d'être français Michel Aubouin interroge les concepts d'assimilation et d'intégration en vigueur ces dernières décennies. Il le fait sans langue de bois mais aussi sans acrimonie. Préfet, inspecteur général de l'administration, l'auteur a exercé de 2009 à 2013 la fonction de directeur au ministère de l'Intérieur, en charge de l'intégration des étrangers et des naturalisations.

Fruit de l'observation et de la réflexion d'un haut fonctionnaire d l'Etat sur les situations auxquelles il était confronté à cette période,  ce livre  est d'autant plus intéressant que Michel Aubouin, issu d'un milieu modeste, a eu un parcours pas tout à fait représentatif de celui des élites politiques et économiques habituelles. (Il racontait son parcours dans un ouvrage précédent intitulé 40 ans dans les cités - D'une enfance en HLM au ministère de l'Intérieur  [Les Presses de la Cité, 2019]).  En outre, son essai, qui porte sur un sujet aussi délicat et clivant que celui de l'affirmation de l'identité française, a le mérite d'une certaine clarté, sans chausse trappes idéologiques.   L'auteur nous évoque sa lignée familiale, remontant au XIVe siècle, d'un certain chanoine du nom de Etienne Aubouin à son père Marcel. Les Aubouin ont vécu depuis des siècles dans la Beauce chartraine.  Passionné par cette région,  Michel Aubouin  lui avait déjà consacré plusieurs livres [Une histoire de la Beauce en 2 tomes  et La Grive et le Rossignol, un parcours en Beauce littéraire]. A partir de ce petit bout de France, Chartres et sa région, il nous propose une réflexion à la fois libre et érudite, dans une démarche  à la fois historique, humaine et politique. Il nous montre la France - et l'Europe - telle qu'il la perçoit puissamment, soulignant à la fois sa force de résilience  mais aussi les risques que peuvent lui faire courir compromissions économiques et  politiques. Ainsi, dans ce passage :  « L'Europe s'est construite sur un projet économique sans tenir compte de ses cultures. La démographie de l'Afrique et les conséquences du réchauffement climatique annoncent des temps de grands troubles qui ne sont pas sans rappeler ceux qu'avaient connus saint Augustin ou Ambroise de Milan à la chute de l'Empire romain (page 34). »  Plus largement, au-delà de l’accueil et de l’asile, il pose notamment la question de l’adhésion des populations à la transmission d’un héritage culturel.  Dans son livre, l'auteur regrette par exemple concernant l'octroi de la nationalité cette inadéquation  entre l'acte juridique et le manque de références communes. Il écrit avec raison : « Si  les migrations les plus récentes bousculent les grands équilibres, c'est parce qu'elles sont, à l'échelle de l'histoire, d'une ampleur jamais égalée et qu'elles véhiculent des traditions et des modes de vie très différents des nôtres.» (page 222). Souvent pur Gadget démagogique et outil majeur des dérives nationalistes au cours de l'histoire, l'affirmation de l'identité n'a pas bonne presse, particulièrement en France où le sujet est plutôt tabou.   Légitimes et cruciales, les inquiétudes liées au dérèglement climatique et à la dissolution des nations dans l’Europe et la mondialisation  occupent le terrain des crispations. Pourtant, la notion même d'identité, en l'occurence celle française, n'a rien de honteuse. Les plus grands historiens comme Georges Duby, Fernand Braudel ou Pierre Nora nous ont rappelé dans leurs ouvrages la permanence même de l'idée de France et sa capacité puissante à rassembler (certes toujours dans un certain désordre !) hommes et femmes en temps de crise au cour de leur histoire.   Michel Aubouin  cite dans son livre à la fois Jules Michelet, Emile Zola, Pierre Brissot (à qui  il a consacré un livre [Brissot, le roman d'un révolutionnaire]), Marcel Proust, Charles Péguy   ou encore Pierre Lavisse. Dans Le défi d'être français, il dissèque  subtilement   la valeur émotionnelle et terrienne  que peut revêtir la France, celle qui peut résonner  presque musicalement des écrits de Charles de Gaulle ou de Paul Valéry. Un pays qui au-delà  de sa gastronomie, de sa langue ou de  ses merveilleux paysages se profile sans doute bien plus : une expérience humaine, une émotion à  partager. Evoquant le particularisme français, l'auteur écrit :
« De cette longue expérience de la confrontation verbale, la France a gagné le goût de l'argumentation, de la polémique - parfois jusqu'à l'absurde -, de la liberté de pensée - parfois jusqu'à l'ineptie -, mais aussi du second degré et de l'ironie mordante. Elle a acquis le droit de contester les dogmes, de résister aux injonctions totalitaires. Elle ne conçoit la religion que par un acte de libre adhésion et refuse qu'un ordre divin lui dicte des prescriptions dénuées de justifications rationnelles. Elle ne peut ainsi concevoir que les objets, les couleurs ou les aliments puissent être distingués selon leur licéité. » (page 232)

Michel Aubouin, Le défi d'être français, essai, broché, éditions Les Presses de la Cité, collection La Cité, 240 pages, 2023




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