A travers un ouvrage instructif et détaillé de près de 300 pages l'historien Rémi Dalisson nous explique comment le populisme de Louis-Napoléon Bonaparte s'est incarné au cours de ses multiples voyages politiques, de 1848 date de son élection comme président de la République jusqu'à 1870 qui clôt son règne controversé.
Auteur de nombreux essais historiques comme Les Fêtes du Maréchal (2008) ou L'impossible commémoration (2018) Rémi Dalisson nous décrit de façon vivante et à l'appui d'analyses fines les moyens considérables mis en place sous le Second Empire pour servir la propagande d'Etat au service de la politique et des intérêts de Napoléon III. L'auteur nous montre comment cette mystique du déplacement - très moderne pour l'époque ! - s'est mise en place et comment elle a interagi avec le peuple. Avec son lot d'inaugurations (écoles, hôpitaux, usines) la visite des villes devient un rituel social et politique immuable sous Napoléon III. Certes, la rencontre directe avec le peuple et les élites locales n'était pas une nouveauté. Et sans même remonter aux rois thaumaturges rappelons que Napoléon Ier y excellait, trouvant par ces visites matière à élargir sa propagande (médailles, commémorations, almanachs, assiettes) au cours du Premier Empire. Dernier roi des Français, Louis Philippe Ier comprit également la portée hautement politique de ces déplacements sans dépasser cependant le modèle mégalomaniaque napoléonien. L'ouvrage Au plus près du peuple - Les voyages politiques de Napoléon III explique précisément comment le dernier empereur français faisait de ses déplacements une pratique systémique, légitimant ainsi son pouvoir autoritaire mais aussi instaurant une forme nouvelle de communication, que l'on pourrait appeler faute de mieux « du populisme moderne ». Ces voyages préfigurent également les réformes sociales à venir et une certaine médiatisation de la culture. A travers cette image de nouvel homme peuple et la médiatisation du moindre évènement (bals, feux d'artifices, inaugurations) avec des acteurs décisifs (mairies, préfectures, villes moyennes) Napoléon III parvient à occuper en permanence le champ de l'actualité. Et l'auteur fait un intéressant rapprochement avec l'univers du théâtre quand il décrit ainsi minutieusement la superbe mécanique napoléonienne :La scénographie itinérante du bonapartisme est donc une machine bien huilée. Chaque temps fort répond à un objectif précis et l'émotion sourd à chaque instant. Mieux, chaque aspect de l'idéologie dominante s'incarne dans des gestes et mots où tout fait sens : l'ordre et la virilité à l'Empereur, la charité et le soin à l'Impératrice. Les sons comme les images renforcent le programme propagandiste de cet Empereur thaumaturge et les terroirs sont convoqués dans une débauche d'hommages à la terre qui rassemble. (page 195).
Rémi Dalisson consacre un chapitre sur l'évolution de ce populisme bonapartiste, qui trouve de profondes ramifications dans le boulangisme et dans la période pétainiste. Au final, cet ouvrage propose, à l'heure des démagogues retors et des nombreux sauveurs itinérants, une réflexion perçante et instructive sur la fragilité du discours politique et les risques que fait encourir sa mise en scène sur la démocratie. Par ailleurs sur un plan de pur marketing politique qui soupçonnerait aujourd’hui que le moindre candidat à l’élection présidentielle orchestrant ses déplacements en province poursuit sans le savoir une stratégie de communication déjà inventée cent cinquante ans plus tôt par Napoléon III ?
Rémi Dalisson, Au plus près du peuple - Les voyages politiques de Napoléon III, éditions Vendémiaire, collection Chroniques, 340 pages, 2022
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