Michaël Biabaud travaille depuis longtemps sur l'histoire urbaine de Caen, la Reconstruction et plus largement la production urbaine du XXe siècle. Richement illustré d'archives, de cartes historiques et de photographies actuelles, son ouvrage intitulé Caen 1920-1940 - De l'Art déco au modernisme nous promène aventureusement dans le Caen d'avant guerre et nous donne un témoignage rare et foisonnant du patrimoine de la ville, des années folles aux dernières convulsions de la modernité.
Alors que l'Art déco est particulièrement florissant en France dans la décennie 1920-1030, il sait se faire attendre dans la capitale bas-normande. Et ce livre nous apprend que la première réalisation Art déco caennaise ne sort de terre qu'en 1928 dans le quartier Saint-Louis.
Il s'agit du centre d'émanothérapie (1928-31) [9, place Foch] de Léon Bonner, un bâtiment au niveau architectural d'autant plus intéressant que l'Art déco y côtoie des éléments classiques et modernes. Parallèlement à l'Art déco, le mouvement moderne va se développer pour le remplacer progressivement. L'ouvrage Caen 1920-1940 - De l'Art déco au modernisme nous propose une belle et insolite découverte de ces lieux emblématiques caennais, dont chacun par son charme rétro marque à la fois l'histoire et la sensibilité de l'époque avec une empreinte du régionalisme normand. En parcourant ce Beau Livre, l'on constate que peu de lieux « stratégiques » ont échappé à cette frénésie architecturale avant-gardiste.
Galeries Lafayette, vue d'ensemble à la fin des années 1930
Photographies de V. Bernhaïm, avec l'aimable autorisation d'Yves Bénain
Que ce soit des lieux de distraction comme les cinémas, des équipements publics, de santé, des hôtels, des grandes enseignes, des logements collectifs ou de simples maisons l'on ressent toujours la puissante empreinte des styles caractérisant cette première moitié du XXe siècle, marquée par la diversité architecturale. Cette période nous apparaît aussi constamment tiraillée entre signaux nostalgiques et symboles de modernité. La ville de Caen possède encore des témoignages de cette grande variété comme la poste Gambetta* (1932) [place Gambetta], majestueux temple Art déco fidèle à la fois au registre décoratif des années 30 et sachant emprunter une grammaire classique (corniches, palmettes) assaisonnée au goût orientalisant de l'époque.
L'on mentionnera aussi l'hôtel Beau Soleil (1939) [41, rue Pierre Grimoire], qui conserve encore aujourd'hui une grande partie de sa physionomie des années 1930 avec sa façade principale rythmée par cinq travées organisées autour de l'escalier central, flanqué de deux pilastres. Par son travail de documentaliste du Musée de Normandie, au sein du château de Caen, Michaël Biabaud collecte entre autres des ressources iconographiques représentant Caen avant la guerre. Et son livre nous montre de nombreux bâtiments significatifs hélas détruits comme le garage Renault, l'hôtel Au départ ou la miroiterie David. [En effet, Caen a perdu environ 68 % de son volume bâti durant la Seconde Guerre mondiale car elle s'est trouvée sur une ligne de front très disputée lors du débarquement en Normandie le 6 juin 1944 (Jour J)].
Majestic et Chandivert au sortir de la guerre
Archives municipales de Caen, fonds Delassalle-Oresme, ARDI058-05
Heureusement, de nombreux bâtiments subsistent à Caen comme les Bains-douches (1928-32), l'élégante villa Hélianthe (à la façade rose) ou encore les immeubles de logement collectifs (1934-35) de la rue Desmoueux, attirant immédiatement l'oeil avec leurs bow-windows et leur fronton Art déco sculpté de rosaces. Fruit d'un travail de fourmi pour faire découvrir la vitalité constructive du Caen juste avant guerre, cet ouvrage nous montre la ville normande sous un angle inédit, proposant un intéressant contraste avec le Caen d'après-guerre, caractérisé (comme Le Havre) par de larges avenues rectilignes bordées par des immeubles de pierre. [La reconstruction de Caen a officiellement duré de 1947 à 1963 !] On signalera aussi, en fin d'ouvrage, le Glossaire détaillé et un index sur les grandes figures de l'architecture locale, de Pierre Auvray (1903-2009) à Henri Yvetot (1905-1961), qui détient le plus gros volume d'habitations construites à Caen.
* Fermé, l'hôtel des Postes Gambetta attend une nouvelle affectation. Inscrit au titre des Monuments Historiques depuis 2010, c'est à Caen l'unique représentant des années 1930 à bénéficier d'une protection.
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