La nouvelle Europe, cette chose si grande, doit commencer par une chose très simple, l'homme français et l'homme allemand osant enfin se connaître, après s'être combattus. Que le loyal sourire qu'ils échangeront soit le premier signe d'un grand printemps de l'Histoire (page 178)*. L'ouvrage Abel Bonnard - Plume de la Collaboration commente l'évolution des écrits et des positions politiques de cet idéologue méthodique. Il rappelle aussi le climat de violence haineuse de nombreux écrivains de la première moitié du XXe siècle (Céline, Daudet, Rebatet). A travers le parcours de vie de Bonnard et l'évolution de ses écrits l'ouvrage fait ressortir la crise d'identité que traverse une certaine France : celle antisémite, antiparlementaire, antidémocratique, c'est à dire ouverte pleinement aux sirènes du nouveau totalitarisme. Pétain, Déat, de Brinon, Doriot, Darquier de Pellepoix, Bousquet... apparaissent naturellement dans ce livre, qui interroge aussi subtilement la collusion entre monde politique et univers de l'écrit (au sens large). Prenant comme modèle l'Allemagne de Hitler, Bonnard a cette vision de l'Europe nouvelle, fondée sur une conception cynique et élitiste. Il écrit déjà en 1940 ceci :
Un pays a besoin pour être grand d'un très petit nombre d'hommes qui aient des mérites rares et d'un très grand nombre qui aient des vertus simples**.(page 173). Le livre d'Abel Azoulay montre aussi, déjà bien avant son engagement politique dans les années 30 puis sous l'Occupation, que dès les années 20, outre son admiration pour la force virile incarnée par le Duce une radicalité sourde transparait déjà dans ses écrits (chroniques, essais, récits de voyage). Benjamin Azoulay écrit ceci :
Il se proclame dès 1924 ouvertement raciste dans En Chine et explique longuement sa position contre le métissage qu'il assimile à un vaste et inéluctable mouvement d'uniformisation du monde (page 90). Poète, romancier, essayiste, grand voyageur, académicien, ministre de l’Education nationale, le parcours d'Albert Bonnard cumule toutes les ambiguïtés et les fractures. La philosophie des Lumières, le sens même de l'Histoire le condamne, sans appel, pour son manque de discernement politique. Méditant dans sa conclusion sur la troublante collusion de Bonnard entre politique et lettres (au sens large) Benjamin Azoulay nous livre cette intéressante réflexion :
Il serait trop simple de ne considérer en lui que la fascination romantique pour l'idée de l'apocalypse ainsi que pour la force ordonnatrice qui s'y oppose, et d'en déduire les raisons de son adhésion au fascisme puis au nazisme. L'esthétisme chez Abel Bonnard est bien plus profond et pénètre au coeur même de son idéologie : jusqu'à sa théorie de l'histoire (page 312).
* Albert Bonnard, « Vers un grand printemps de l'histoire », Le Matin, 2 juillet 1941
** Albert Bonnard, « Morale d'une défaite », La Gerbe, 7 septembre 1940
Benjamin Azoulay, Abel Bonnard - Plume de la Collaboration, grand format, éditions Perrin, 384 pages, 2023
Benjamin Azoulay, Abel Bonnard - Plume de la Collaboration, grand format, éditions Perrin, 384 pages, 2023
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