Au théâtre de la Croisée des chemins Violette Erhart met subtilement en scène Oleanna, étouffant huis-clos de David Mamet. La pièce explore à la fois toute l'ambiguïté et les rapports de pouvoir entre un universitaire (John) et une étudiante (Carol). David Mamet (né en 1947) est connu pour ses pièces de théâtre et ses films qui ont fait le tour du monde. Il est à la fois acteur, producteur, réalisateur, scénariste, auteur et essayiste. Oleanna s'avère une des meilleures pièces de l'auteur inspiré de China Doll et d'American Buffalo. Par son atmosphère un peu moite et faussement décontractée l'histoire de Oleanna rappelle d'ailleurs un peu Comment le dire? de Joseph M. Benet I Jornet, l'histoire d’un professeur d’université, un jour de pluie, se présentant à l’appartement d’une étudiante qui doit présenter un travail de fin d’études.
Comment le dire ? - sur un ton théâtral un peu potache et faussement décontracté - explorait le même rapport ambigu entre un professeur et une étudiante, et se profilait aussi comme une métaphore de la difficulté des relations entre hommes et femmes. Même si Mamet a écrit cette pièce en 1992 bon nombre de ses thèmes - à l'heure de Me Too et des réseaux sociaux justiciers - restent de pleine actualité comme le harcèlement sexuel, la place des femmes dans la société, le sexisme ordinaire ou encore les rapports hiérarchiques à l'université. Le drame psychologique d'Oleanna se profile d'autant plus incisif que Mamet renonce à hystériser ses personnages, adoptant un ton moderne à la fois réaliste et fortement suggestif. Toute en habile progression la mise en scène de Violette Erhart nous décrit le conflit latent entre ce professeur très instruit d'une quarantaine d'années et cette jeune femme de 20 ans venant d'un milieu particulièrement défavorisé.
Tout en effet semble opposer John et Carol : l'éducation, le milieu social, la façon de parler, la position matérielle ou encore les aspirations immédiates. La première partie du spectacle nous montre - d'ailleurs avec un certain humour ! - cet universitaire orienté vers une série de simulacres, slalomant avec son élève dans la choucroute verbale entre pédagogie soft, confession intime et altruisme BCBG. Nettement plus sombre, la seconde partie nous dévoile les mécanismes de la souricière dans laquelle s'enfonce John. Dans un jeu très convaincant Kevin Gouabault se faufile comme un poisson dans l'eau dans ce personnage à la fois paternaliste et désinvolte, pris dans un jeu de pouvoir et de séduction. Comédienne instinctive Nadia Sharshar propose une performante brillante et originale dans un personnage de jeune femme à la fois fragile et forte, sincère et manipulatrice.
Au-delà de la confrontation glaciale entre ces deux êtres ce spectacle théâtral, fidèle à l'esprit de l'auteur de Tribulations sexuelles à Chicago, fait particulièrement bien ressortir les jeux de pouvoir de l'institution universitaire, ceux du milieu social et de la supériorité intellectuelle, les mettant en parallèle avec la domination sexuelle. A travers ses personnages un peu vagues à la Pinter Mamet dans Oleanna semble nous signifier que le traquenard n'est jamais éloigné de nous mais aussi qu'aucun individu n'est véritablement noir ou blanc. Au-delà des thèmes un peu emphatiques mais réels du harcèlement moral et de la guerre des sexes Mamet décortique avec brio et raffinement les mécanismes de l'emprise et de la séduction.
Oleanna, de David Mamet
Mise en scène : Violette Erhart
Interprétation : Kevin Gouabault, Roxanne Davidson et Nadia Sharshar (en alternance)
Théâtre La Croisée des chemins
(salle Paris-Belleville)
120 bis rue Haxo
Paris 19e
horaires : les samedi à 17 h
jusqu'au 30 octobre 2021
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