lundi 13 septembre 2021

Le portefeuille des philosophes


Dans Le portefeuille des philosophes l'essayiste Henri de Monvallier propose une réflexion fouillée et impertinente sur la vie matérielle des penseurs.Riche en repères biographiques peu connus (en dehors des  spécialistes) et proposant une  incisive  et intéressante réflexion sur le lien entretenu par chaque philosophe avec son pécule, cet essai à la fois tonique et salutaire met entre autres  en exergue l'hypocrisie inhérente à bon nombre de conceptions philosophiques. Frappé du sceau du péché originel et de la honte depuis Platon, l'argent a rarement eu bonne presse dans l'univers de la pensée. Incontournable, l'auteur du Banquet  opposait déjà vigoureusement le Socrate, pur, vertueux et désintéressé aux sophistes cyniques, sans foi ni loi, attirés seulement par le gain ! (L'on signalera au passage le cas atypique du philosophe autrichien Ludwig Wittgenstein (1889-1951), qui, par pur choix philosophique, renonça à un immense héritage.)  Docteur en philosophie et auteur de plusieurs livres incisifs  [Blanchot l'obscur ou la déraison littéraire (2015), Les Imposteurs de la philosophie (2019)]  Henri de Monvallier (né en 1980) osculte - entre autres -  dans un essai « intempestif » la grandeur affichée du désintéressement du fric chez les plus grands penseurs, interrogeant par exemple le mépris aristocratique de l'argent dans la philosophie de Platon ou de Sénèque. Dans un chapitre consacré à ce dernier  de Monvallier pointe subtilement toute l'ambiguïté du discours de ce penseur stoïcien vantant les promesses d'une sagesse acquise par le détachement des biens (dont l'argent). Immensément riche (4e fortune de son temps), grand usurier et aristocrate bénéficiant de tous les honneurs, c'est le même Sénèque  qui encourage les mesures de violence pour récupérer l'argent de ses innombrables débiteurs. Ingénument de Monvallier écrit (page 36) à propos de l'écrivain latin : « L'argent, ne cesse-t'il de répéter est un faux bien que le sage (ou le philosophe qui aspire à la sagesse) doit tenir au maximum à distance ». Autre figure emblématique de la philosophie européenne, Schopenhauer nous oriente vers une vision de l'argent sans doute plus apaisée et semble-t-il moins hypocrite que celle de Sénèque. Ce philosophe allemand hérita de son père - à l'âge de 18 ans - d'une fortune considérable qui lui permettra de ne jamais avoir de gros soucis d'argent. Vivant chichement de ses droits d'auteur et n'acquérant la célébrité que peu avant sa mort cette fortune de rentier -  qui occupa une large partie de son temps et de sa correspondance ! -  lui permit sa liberté et son indépendance intellectuelle. Quant à Kant, sa position financière fut un peu particulière. la première partie de sa vie (jusqu'à 46 ans), il cumula l'enseignement avec des petits boulots mal payés. Dans Le portefeuille des philosophes l'on apprend que grâce à des placements, il atteignit une certaine fortune à la fin de sa vie. Dans le chapitre qu'il lui consacre, de Monvallier  nous brosse un portrait flatteur et sensible du célèbre auteur de La Raison pure, celui d'un être généreux qui toute sa vie mit l'argent au service des autres, quitte à  être victime d'abus de ses proches. L'on sent toute la sympathie chez de Monvallier pour Kant quand il écrit : « Il faut reconnaître  que la vie de Kant a été globalement à la hauteur de sa pensée et de sa conception de la morale : il a toujours été honnête et généreux, il a toujours fait passer l'intérêt des autres avant le sien propre. » (page 55).   Naturellement l'auteur consacre un chapitre à Karl Marx, sans doute le philosophe qui a le plus théorisé sur l'argent, notamment avec son ouvrage phare le Capital (1867). Quoique issu de la bourgeoisie, Marx connaîtra une grande précarité et la misère. Mettant en parallèle son vécu et sa philosophie de Monvallier  écrit : «C'est dans ce contexte, pendant cette quinzaine d'années (entre 1851 et 1864) qu'il met en chantier le Capital, et c'est sans doute dans son portefeuille et son ventre vides qu'il faut aussi chercher les racines de sa colère face à l'injustice sociale, à l'exploitation de la misère, qu'il développe sur des milliers de pages à travers des analyses parfois ardues et très techniques » (page 114). Quant à Sartre,  son rapport à l'argent nous est décrit comme souvent névrotique dans Le portefeuille des philosophes. Ce qui frappe avant tout chez Sartre, au-delà de ses conceptions politiques discutables, c'est en matière d'argent  sa générosité financière envers ses proches, payant  leurs loyers ou impôts. ou rentes. Subtilement, de Monvallier commente  cette disposition psychologique : « Sans doute cette générosité excessive et déréglée doit-elle aussi être mise en perspective avec sa détestation du bourgeois qui a orienté toute sa vie : la dilapidation d'un argent qui au fond il a toujours méprisé était le remède à la thésaurisation et à la « saine gestion bourgeoise  de bon père de famille ».

Henri de Monvallier, Le portefeuille des philosophes, essai, broché, éditions Le Passeur, 176 pages, 2021






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