lundi 5 juin 2017

Contagion


© Frédérique Ribis - Contagion

A la fois impertinent et moral (dans le sens humaniste), Contagion de François Bégaudeau est un texte à la fois délicat et dérangeant. Au Théâtre Paris-Villette, Valérie Grail met en scène ce spectacle très original, qui au-delà de son sujet sur la radicalisation des jeunes nous parle de façon surprenante du monde actuel.


Stéphane est un prof d ‘histoire qui traverse - sans doute - une crise existentielle. Intellectuel vieillissant, comme ses confrères les sociologues et autres « spécialistes de la société civile et des médias », ce solitaire cultivé est devenu de nos jours un ex-soixante-huitard dubitatif et inquiet. Subtilement sur le mode réaliste, Raphaël Almosni interprète cet homme frustré et en décalage avec les diktats de son époque. Ce professeur a longtemps « interrogé » le malaise de la civilisation et « questionné » les consciences - notamment par l’enseignement et le décryptage des images. Stéphane est également réputé pour être un « spécialiste de la jeunesse ». Dans un ton de camaraderie amusée, la pièce débute par une conversation animée entre ce dernier et un adolescent goguenard (mais sans méchanceté) interprété de façon naturelle par Côme Thieulin. Planqué derrière son écran d’ordinateur, le jeune l’informe à sa façon des dernières idées complotistes à la mode. D’emblée, ce premier « entretien » plante le décor et le climat général de Contagion, spectacle riche en dialogues incisifs/sarcastiques et pourvu aussi de monologues aux contours parfois métaphysiques.

© DR Contagion - Théâtre Paris Villette 

Rythmée efficacement par la mise en scène de Valérie Grail et portée par l’écriture simple et originale de François Bégaudeau, la pièce fonctionne en trois tableaux. En effet, après son dialogue avec l’adolescent sur « la radicalisation de la jeunesse », le professeur en poursuivra un autre avec un jeune journaliste frais et pimpant style BFMTV, lui proposant un plan média ne semblant pas visiblement l’emballer. (Pour les besoins du reportage le journaliste lui propose de retourner dans son lycée de banlieue à Villiers-le-Bel et de partir à la recherche de proches de radicalisés.) Enfin ce triptyque philosophique se conclura par un délicieux et surréaliste échange verbal entre le professeur et un auteur dramatique ayant trouvé dans le terrorisme un sujet porteur et rentable. Au fil des répétitions, Stéphane, devenu comédien, renoncera à interpréter son rôle de jeune djihadiste. Il remettra en question le travail, le choix d’un tel sujet et surtout l’éthique du metteur en scène. On l’aura compris : Contagion est une pièce assez spéciale en cela qu’elle scrute de façon désarmante   les effets pervers de la commémoration perpétuelle et de l’autoflagellation sur des sujets aussi « sensibles » que l’éducation, la jeunesse ou le terrorisme. Et d’une certaine façon, sa pièce nous met en garde vis-à-vis de cette envahissante et bien-pensante société, représentée dans l’ensemble par les médias et les élites politiques, prise dans une passion dévastatrice pour le nihilisme avec son corollaire pavlovien, celui d’éluder les vraies questions et de fuir la réalité des problèmes.

© DR Contagion - Théâtre Paris Villette 

Naturellement, la pièce ne remet pas en question l’évidente nécessité d’honorer au mieux les victimes du terrorisme et d’instaurer un indispensable temps du deuil. A travers le personnage de Stéphane et de ses trois interlocuteurs - à peine caricaturaux - transparaît en fait une interrogation perçante sur le rôle exact que doit remplir les enseignants, les médias et les intellectuels en général. Abordant sur un mode compassionnel les thèmes du terrorisme et de la radicalisation tout en abreuvant le public d’innombrables reportages tendant à « humaniser »  les fanatiques à travers des confidences de proches, les médias ne risquent-ils pas de transformer les terroristes en victimes ? Et de légitimer ou du moins d’atténuer la portée criminelle de leurs actes ? Justement, Contagion interroge en vrac tout cela. Le désarroi intellectuel de son personnage principal Stéphane peut s’expliquer en partie par l’ambiguïté du message médiatique mais aussi par son décalage insidueux avec la réalité. Il est aussi beaucoup question dans Contagion de solitude, de manque de générosité… Par des dialogues hardis, Bégaudeau dans Contagion « croque » des jeunes et des communicants d’aujourd’hui. Sa pièce nous suggère le nihilisme creux, la paresse intellectuelle, l’esprit étriqué et commercial de bon nombre d’entre eux. Propulsée par deux excellents comédiens - Raphaël Almosni (le professeur) et Côme Thieulin (qui interprète successivement l’adolescent/lejournaliste et l’auteur dramatique), Contagion est une brillante réflexion critique sur notre monde, en tout cas porteuse d' un regard théâtral de pleine actualité !


durée : 1 h 25

Contagion, de François Bégaudeau
Mise en scène : Valérie Grail
Avec Raphaël Almosni et Côme Thieulin

Théâtre Paris Villette (salle Blanche)
211, avenue Jean Jaurès
Paris 19e
horaires : mardi au jeudi (20 h), vendredi 9 à 19 h, vendredi 16 à 20 h 45, samedi à 20 h, dimanche à 16h

du 6 au 18 juin 2017























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