Dans Les grandes épidémies dans l’histoire Henri Deleersnijder décortique les mystérieux mécanismes de chacune d'elles, de la peste d'Athènes au Covid-19... Professeur d'histoire et auteur de L'Europe, du mythe à la réalité. Histoire d'une idée*, Henri Deleersnijder nous propose un ouvrage intéressant et érudit, à la lecture limpide. Le livre Les grandes épidémies dans l’histoire a comme principal intérêt de faire un intéressant parallèle entre les crises sanitaires passées et celle actuelle. De la peste de Justinien, signant l'effondrement du monde antique à la grippe espagnole, responsable d'environ 50 millions de morts en passant par le typhus, maladie emblématique de la misère et des guerres, les épidémies ont souvent été au carrefour de véritables bouleversements socio-politiques.
Dans une fine description à la fois historique, sociale et psychologique des épidémies passées et des plus récentes l'auteur nous montre comme celles-ci ont bouleversé les habitudes des gens mais aussi comment elles ont façonné profondément leur conception de l'avenir. Il nous décrit avec de nombreux exemples les modes de gestion de crise des Etats ou des municipalités. (Les réglementations pour tenter de réguler les épidémies se profilent parfois de façon loufoque comme durant la Peste noire du XIVe siècle avec l'interdiction, dans certaines villes, de proférer des jurons, de s'adonner au jeu ou l'obligation de parfumer son environnement !) En outre, le confinement n'apparaît pas franchement comme une nouveauté. Introduite par les cités italiennes au Moyen Age, la quarantaine avait déjà pour but de limiter les risques de contagion, omniprésents dans les ports.
Et bien avant les mouvances complotistes, les excités de QAnon ou autres fervents des Protocoles des sages de Sion les Etats, eux-mêmes, se chargeaient de choisir minutieusement leurs boucs émissaires. Par exemple, au cours de la peste noire, les juifs furent en Europe rendus responsables de la dissémination de l'épidémie mais aussi les lépreux et les mendiants. En ce qui concerne ces derniers l'historien Bronislav Geremek (1932-2008) a mis brillamment en exergue les liens entre la répression du vagabondage et les peurs générées à la fois par la menace de la maladie et celle de la guerre de Cent Ans (1337-1453). Quant aux lépreux, il leur était obligé de trimbaler les signes distinctifs suivants : long manteau, large chapeau, gants, barillet pour mendier et crécelle pour annoncer leur arrivée.
L'auteur nous rappelle naturellement l'importante dimension géo-politique de bon nombre de ces épidémies. Ainsi, lors de la conquête d'Herman Cortés (1485-1547) des terres amérindiennes la population fut largement décimée par un virus animal, issu des chevaux amenés par bateau, contre lequel les Européens étaient immunisés depuis longtemps. Dans son livre Henri Deleersnijder précise: « On estime aujourd'hui qu'en 1520-1521, cette épidémie fut l'une - sinon la principale des causes - de la chute de la cité. » Quant à la syphilis, promise à un destin sanitaire ravageur de plusieurs siècles, elle fut ramenée en France, en Suisse et en Allemagne à la suite de la rentrée des soldats dans leur foyer après la guerre d'Italie menée en 1494-1495 par le roi de France Charles VIII (1485-1547).
Patients atteints de la grippe espagnole et infirmières dans un auditorium d'Oakland, aux Etats-Unis, en 1918
Dans Les grandes épidémies dans l’histoire les petites querelles autour du confinement n'apparaissent pas particulièrement neuves. En effet, on y apprend qu'à toute époque les populations riches s'empressaient déjà de fuir la ville pour se réfugier à la campagne comme lors de la peste à Londres de 1665 ou celle de Marseille en 1720. (Les habitants de cette dernière ville furent soumis à un véritable enfermement jusqu'en novembre 1722, date d'apaisement de l'épidémie.) En ce qui concerne la médiatisation des épidémies l'on y apprend que certaines furent, du moins au début, peu médiatisées comme la grippe espagnole (1918) - pour ne pas démoraliser l'opinion et les soldats, revenus récemment du front. Quant à la grippe dite de « Hong Kong » (1968-1970) elle fut peu relayée par la presse.
L'auteur rappelle cet entrefilet révélateur du 18 décembre 1969 paru dans Le Monde : « L'épidémie de grippe qui s'étend, comme chaque année, sur l'Europe n'est ni grave ni nouvelle.» Avec une grande précision historique et un souci sociologique, que n'aurait pas renié l'historien Fernand Braudel (1902-1985), Henri Deleersnijder établit dans son livre une carte analytique de toutes les peurs collectives qui ont secoué l'Histoire, de l'Antiquité à aujourd'hui. Comme le rappelait si bien l'écrivain et résistant francais Robert Antelme (1917-1990) : « L'homme n'est rien d'autre qu'une résistance absolue, inestimable, à l'anéantissement. »
Henri Deleersnijder, Les grandes épidémies dans l’histoire - Quand peste, grippe espagnole, coronavirus... façonnent nos sociétés, éditions Mardaga, 189 pages, 2021
* Henri Deleersnijder, L'Europe, du mythe à la réalité. Histoire d'une idée, éditions Mardaga, 2019
Voila un livre très intéressant, le lire relativiserai notre peur du Covid. Il semble que ce livre soit épuisé, dommage !
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