lundi 7 décembre 2020

Léon Spilliaert




Dans un élégant et instructif essai la journaliste Eva Bester rend hommage au génie de Léon Spilliaert (1881-1946), sans doute le plus insomniaque et mystérieux des peintres belges. Si cet artiste originaire d'Ostende fait l'objet actuellement d'une expo fleuve au Musée d'Orsay son oeuvre majeure,  en revanche, n'a sans doute pas été célébrée à sa juste valeur en dehors de la Belgique. Imprégnée par la mélancolie de son pays natal et en particulier d'Ostende  l'expression picturale de Léon Spilliaert   flirte parfois avec le symbolisme, l'expressionnisme et le surréalisme. Le court et intéressant  livre  d'Eva Bester nous   rappelle subtilement que  Léon Spilliaert  était  surtout  un vrai  artiste, méditatif et inclassable. Certains fils conducteurs émergent  de cette création géante (environ 4500 !)  comme un certain climat morbide de l'ensemble et une vision anxiogène de l'existence. En cela l'on pourra rapprocher Spilliaert de peintres  comme  Edward Munch, Félix Vallotton  ou  James Ensor, ami et natif comme lui d'Ostende, la mélancolique cité balnéaire. Mais peut être chez Spilliaert cette permanence  du spleen a une valeur encore plus poétique que chez les autres, le rapprochant plutôt de cette langueur frisant la folie, si familière dans la poésie de Baudelaire, de Lautréamont  ou de Rimbaud.  L'auteure rappelle ainsi le climat particulier dans lequel évolue Spilliaert :   Le peintre se plaît  à représenter des personnages esseulés, prostrés, ahuris, dans un climat de pesanteur, de vide, de morbidité, d'angoisse existentielle et de mort (page 34).  Depuis de nombreuses années, Eva Bester étudie la notion de « consolation par les arts » et est particulièrement sensible au fait que, dans les travaux de Spilliaert, toute personne qui a déjà « ressenti la morsure du spleen ou de l’angoisse peut trouver une résonance esthétique à ses états d’âme dans l’une des visions du peintre ».
Grand angoissé, Spilliaert a  créé une série d’auto-portraits visionnaires qui révèlent son questionnement  sur la condition de l'artiste. Cependant,  il serait un peu réducteur de cantonner ce contemporain d'Ensor et de Permeke  à la superbe névrose  fin de siècle, qui fit,  il est vrai, les délices  en particulier des  poètes et des psychanalystes de son époque. Dans son livre Eva Bester nous parle avec beaucoup d'intuition de  cet homme paradoxal à la peinture belle, cruelle et étrange. Rappelons au passage que cette oeuvre  se nourrissait puissamment de la délicate et mélancolique poésie de grands symbolistes comme Emile Verharen ou Maurice Maeterlinck. Ce portrait concis mais riche nous oriente vers  le mystère - au-delà de  l'homme - de la création même de Spilliaert. Sous le charme du peintre l'auteure nous communique donc   quelques pistes d'entendement pour aborder cette oeuvre rare  que l'on devine à la fois intimiste,  immense et singulière. C'est un alchimiste : de la boue et  la sombreur, il fait du sublime, constate-t-elle.

Eva Bester, Léon Spilliaert, essai, éditions Autrement,  couleur - broché,  112 pages, 2020  

A signaler :
 expo Léon Spilliaert (1881-1946) - Lumière et solitude
(jusqu'au 10 janvier 2021 au Musée d'Orsay)


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