lundi 21 janvier 2019

La Dama Boba ou celle qu'on trouvait idiote




Au Théâtre 13 l’on peut découvrir La Dama Boba ou Celle qu’on trouvait idiote (1613) de Felix Lope de Vega (1562-1635). Poétique, grinçante et farfelue, la mise en scène de Justine Heynemann honore subtilement cette pièce phare du répertoire espagnol.


Après son adaptation de La Discrète amoureuse du même auteur Justine Heynemann a  choisi ce classique du Siècle d'or délicieusement alambiqué, qui par sa drôlerie et son ton - sarcastiquement - moderne  fait parfois songer à la pièce de Molière Les Précieuses Ridicules (1659).  Enchaînant  en toute aisance les répliques vives, les comédiens alertes et inventifs évoluent sur scène  dans un tourbillon rapide de situations absurdes et cocasses.

© Cindy Doutres - La Dama Boba ou celle qu'on trouvait idiote

L'histoire est la suivante : le seigneur Otavio, gentilhomme de Madrid, a deux filles : l’ainée, Nise, est une jeune érudite, tandis que Finéa, la cadette, est la « Dama Boba », celle que l’on trouve idiote. Cette dernière reçoit en héritage une importante dot de son oncle mais malgré cela, son esprit simplet et ses réparties étranges découragent les prétendants que son père lui propose. Dans l’entourage de Nise, la « femme savante », des jeunes gens poètes à leurs heures, s’empressent. L’un d’eux, Laurencio, artiste fauché, tombe sous le charme de… la fortune de Finéa et entreprend secrètement de séduire la jeune fille. Les multiples maladresses de Finéa et son apparente incapacité à comprendre les autres (prétendants,  membres de la famille, professeur de danse) offrent là le registre burlesque et grinçant.

© Cindy Doutres - La Dama Boba ou celle qu'on trouvait idiote

L'on songe parfois à travers Finéa au personnage de la laide roturière dans Yvonne, princesse de Bourgogne (1938) de Witold Gombrowicz. Dans cette pièce le choix absurde d'un prince, pris entre désir et dégoût, contamine tout son entourage de son pessimisme. Beaucoup moins cruelle,  la comédie de Lope de Vega s'en distingue aussi par un certain optimisme.  Au-delà de la rivalité amoureuse entre les deux sœurs et des effets induits par l'apparente stupidité de Finéa, la comédie surprend par sa malice philosophique et son inversion des valeurs. Auteur de près de 1800 pièces (!) et  fin psychologue, le contemporain de Calderon de la Barca nous interroge malicieusement sur la géométrie variable des caractères et sur la versatilité  des états d’âme de deux soeurs (Nise et Finéa) et de leurs prétendants.

© Cindy Doutres - La Dama Boba ou celle qu'on trouvait idiote

Le beau et le laid, le vrai et le faux, le convenable et l'indécent se mélangent pour le meilleur monde.   Philosophiquement irrévérencieux et drôle, le message de Lope de Vega distribue un message ambivalent. D’un côté, il  se moque gentiment de l’instabilité chronique du choix amoureux de ses personnages, de l’autre il semble nous signifier que la maturité de l’esprit et la pérennité de l’amour s'accomplit avant tout par la richesse des expériences. En outre,  comme Molière, l'auteur du Chien du Jardinier (1613) jette un regard critique  sur le rôle inférieur dévolu à  la femme, subordonnée au père ou au mari.  On notera la jolie forme théâtrale de cette comédie satirique propulsée par des comédiens-musiciens (deux guitaristes et un percussionniste) et des improvisations de danse. On signalera aussi  la  puissante interprétation de Roxanne Roux (Finéa) en  lucide idiote. Parfaitement rodé, le spectacle vaut vraiment le déplacement !

durée : 1 h 45

La Dama Boba ou celle qu'on trouvait idiote
Texte : Felix Lope de Vega
Mise en scène : Justine Heynemann
Avec Sol Espèce (Nise), Stephan Godin (Otavio), Corentin Hot (Turin), Pascal Neyron (Duardo), Rémy Laquittant (Liséo) Lisa Perrio (Clara), Roxanne Roux (Finéa), Antoine Sarrasin (Laurencio)

Théâtre 13 / Jardin
103 A Boulevard Auguste Blanchi
Paris 13e
horaires : du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 16 h

jusqu'au 17 février 2019

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