lundi 9 juillet 2018

Roger Nimier - Masculin, singulier, pluriel




Femmes, romans, alcool, bolides, polémiques avec Sartre ou Camus… Disparu au volant de son Aston Martin, dans un terrible accident de voiture très médiatisé à l'époque, l’écrivain Roger Nimier (1925-1962) fut un enfant terrible des lettres dans la France d’après-guerre. Alain Cresciucci lui consacre une très intéressante biographie intitulée Roger Nimier - Masculin, singulier, pluriel.


Relativement méconnu, voire oublié, Roger Nimier fut le chef de file de l'informel mouvement littéraire des « Hussards », du nom du  plus connu roman de Nimier, « Le Hussard bleu  » (1950). Passionné par la figure et l’œuvre de ce dandy littéraire, souvent catalogué comme un « anar de droite », l’auteur lui consacre un livre fleuve de près de 300 pages. (Cette biographie clôt sa « trilogie hussarde. »*) Il y explore le  parcours atypique du romancier - par ailleurs journaliste, dialoguiste et scénariste - ainsi que les nombreuses facettes et contradictions de cet homme, qui connut une vie brève et qui, finalement, publia assez peu de romans.

Roger Nimier, 1954

A la lecture de cette biographie littéraire  documentée et très vivante l’on fait connaissance avec ces fameux « hussards » à travers l’image emblématique de Nimier. Ces hussards pur jus (outre l'auteur   des Enfants tristes) - Antoine Blondin, Jacques Laurent, Michel Déon - se caractérisent  par une certaine insolence, un style bref et incisif, une désinvolture élégante certainement un peu snob. (Dans la liste, on pourra rajouter Françoise Sagan, Félicien Marceau, François Nourissier.) Pour évoquer tous ces talents disparates Cresciucci privilégie un angle à la fois historique, psychologique et sociologique. Il ne manque pas d’énumérer toutes les raisons qui ont contribué à flouter l’image de cet écrivain paradoxal. L'auteur rappelle notamment que Nimier s’est beaucoup dénigré lui-même.  Nimier et le courant hussard se  moquaient  des existentialistes, rejetant  l'hypocrite figure de vache sacrée de l’intellectuel engagé, initiée symboliquement par  Sartre ou Camus. Paradoxalement, ces jeunes gens affichaient leurs goûts « modernes », Nimier le premier, tout en s’inscrivant dans une tradition littéraire postclassique.

Perfide, collection Blanche, Gallimard (paru le 24 mars 1950)

Evaluant le positionnement littéraire de Nimier et sa bizarrerie intrinsèque (5 romans en 5 ans puis une œuvre essentiellement journalistique jusqu'à sa mort), l’auteur nous propose une biographie  labyrinthique mais (heureusement !) claire, évitant à la fois l’écueil de l’admiration indéfectible et celui de l'acerbe distanciation (tout aussi agaçante). Analysant l'univers de l'écrivain, Cresciucci  écrit : « La débâcle des idéaux et l’incompatibilité entre l’innocence (l’esprit d’enfance) et les compromissions de la société (le monde des adultes) imprègnent toute l’oeuvre et lui confèrent une distance ironique, un nonchaloir frisant le désintérêt - lassitude romantique, indifférence totale. » (page 89). Par ailleurs, les héros nimiens ont comme caractéristique d’évoluer dans un cadre familier : celui de la France, des lendemains de la Grande Guerre au début des années 50. Derrière leur apparente légèreté (et familiarité) les romans de Nimier cachent en fait un profond malaise. Aux conformismes littéraires et philosophiques de son époque (réalisme, existentialisme,  esthétisme outré) les livres de Nimier opposent un scepticisme aristocratique, une passion pour l’ambiguïté (celle des êtres et des situations), un regard le plus souvent amusé.



L’humour acide et feutré de ce dernier se retrouvera aussi dans ses chroniques et portraits. Cresciucci en cite un extrait amusant consacré au pape autoproclamé du surréalisme, André Breton : « La grandiloquence ne lui est pas étrangère. Il écrit une belle prose qui n’est pas toujours dépourvue d’une enflure regrettable. Dans ses derniers écrits, en particulier, on croirait lire un notaire du XIXe siècle fermé aux belles lettres et qui décide, un soir, de s’y adonner. Mais avec mille précautions » (page 189).    Au final, à travers ce copieux et consistant  Roger Nimier - Masculin, singulier, pluriel se dessine le portrait légèrement proustien d’un écrivain, qui - au-delà des mondanités et de l'acide description de son époque - parvient à insuffler au monde des lettres un parfum moderne de rébellion avec un zeste  de romantisme nostalgique.

(*) Jacques Laurent à l'oeuvre. Itinéraire d'un enfant du siècle, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2014 et Le monde (imaginaire) d'Antoine Blondin, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2016

Alain Cresciucci, Roger Nimier - Masculin, singulier, pluriel, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 300 pages, 2018


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire