Au Théâtre du Nord-Ouest (Paris 9e) l'on peut découvrir Les Bonnes de Jean Genet (1910-1986). Mis en scène par Romain Dubos c'est un spectacle à la beauté fébrile dans lequel l'on retrouve les thèmes clés de l'écrivain et auteur dramatique français: folie, crime et mascarade sociale. Les Bonnes (1947) est connue pour être une pièce assez étrange avec des personnages difficiles à cerner, des dialogues ambigus et un environnement psychologique tragique et violent sur fond de névrose et d'incompréhension. C'est tout sauf un théâtre de divertissement et d'une certaine façon Les Bonnes comme les autres oeuvres théâtrales de Jean Genet n'est pas sans faire songer au théâtre de la cruauté proche de l'univers du tourmenté Antonin Artaud. Sombre et suggestive, l'histoire raconte le quotidien de deux soeurs, Claire et Solange Lemercier. Elles sont employées dans la même maison, s’enfermant dans un monde de fantasmes nourri par des lectures aussi bien romanesques que de journaux à sensation. Leur jeu de rôle se cristallise autour du désir de meurtre de leur patronne (Madame). (Le texte de Genet aurait été inspiré de l'affaire des sœurs Papin, un fait divers sanglant survenu en 1933.) Dans le rôle des deux soeurs Solange et Claire, Natacha Leytier et Emilie Valin expriment puissamment par la tonalité de la voix et une gestuelle tantôt contenue ou saccadée l'amertume de leur condition sociale et leur passion pétrie de haine et de jalousie pour leur maîtresse. Mis en scène finement par Romain Dubos, ces deux personnages au comportement tourmenté et masochiste, à l'image de l'ambiguïté de leurs sentiments, ne nous paraissent pas si éloignés de ceux possédés, de Fiodor Dostoyevski. Si certains aspects de la pièce de Genet peuvent paraître aujourd'hui désuets, voire difficiles d'accès, l'on est toujours surpris par la force de ce texte sombre et moite, qui semble vouloir explorer à travers ses arabesques liturgiques toute la noirceur de l'âme humaine.
Les Bonnes - Théâtre du Nord-Ouest
Indéniablement, il y a dans Les Bonnes quelque chose qui se rapproche de la fascination de la mort, l'idée du crime envisagé sous un aspect esthétique, rappelant le curieux essai de Thomas de Quincey (1854) intitulé De l’assassinat considéré comme un des Beaux Arts. « L’assassinat est une chose… inénarrable !… Nous l’emporterons dans un bois et sous les sapins, au clair de lune, nous la découperons en morceaux. Nous chanterons ! Nous l’enterrerons sous les fleurs dans nos parterres que nous arroserons le soir avec un petit arrosoir ! », s'exclame enthousiaste l'une des deux soeurs songeant au sort qu'elles réservent à Madame. Interprétée talentueusement avec un certain sens de la dérision par Charlotte-Rita, Madame est le troisième personnage clé des Bonnes. Quoique ses apparitions scéniques se profilent espacées elle se révèle en fait omniprésente. En effet, Claire, en l'absence de Madame, joue son personnage, empruntant au fil des scènes ses robes, ses fards et ses parfums. Elle prend goulument une part de son identité devant l'oeil tantôt amusé ou haineux de Solange. Personnage à la fois lointain et méprisant, rappelant vaguement l'amusante Mme Smith de La Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco, Madame possède aussi un fort caractère et se montre parfois révoltée. Dans cet habile spectacle, qui fait la part belle aux « jeux de rôles », l'interaction entre les trois comédiennes se profile subtilement distillée, nous suggérant avec d'autant plus de force et de précision l'intensité des conflits entre la patronne et ses deux bonnes, mais aussi celui plus difficile d'accès entre Claire et Solange. Au final, l'on recommandera chaudement ce spectacle pour la performance théâtrale des trois comédiennes qui font revivre sur scène l'univers atypique de l'auteur des Paravents.
durée : 1 h 20
Les Bonnes, de Jean Genet
Mise en scène : Romain Dubos
Distribution : Charlotte-Rita (Madame), Natacha Leytier (Solange), Emilie Valin (Claire)
Théâtre du Nord-Ouest (Grande Salle)
13, rue du Faubourg Montmartre
Paris 9e
horaires : mercredi 5 juin (20 h 30), vendredi 7 juin (18 h 30), samedi 8 juin (16 h), dimanche 9 juin (14 h), mercredi 12 juin (18 h 30), samedi 15 juin (17 h 15), dimanche 16 juin (14 h 30), mercredi 19 juin (20 h 30), vendredi 21 juin (18 h 30), samedi 22 juin (18 h 30), mercredi 26 juin (18 h 30),vendredi 28 juin (18 h 30), lundi 1er juillet (20 h 30)
Théâtre du Nord-Ouest (Grande Salle)
13, rue du Faubourg Montmartre
Paris 9e
horaires : mercredi 5 juin (20 h 30), vendredi 7 juin (18 h 30), samedi 8 juin (16 h), dimanche 9 juin (14 h), mercredi 12 juin (18 h 30), samedi 15 juin (17 h 15), dimanche 16 juin (14 h 30), mercredi 19 juin (20 h 30), vendredi 21 juin (18 h 30), samedi 22 juin (18 h 30), mercredi 26 juin (18 h 30),vendredi 28 juin (18 h 30), lundi 1er juillet (20 h 30)
jusqu'au 1er juillet 2024
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