Marqueur sociologique commun à la plupart des civilisations, le fameux produit de maquillage a pourtant été peu étudié. Dans La folle histoire du rouge à lèvres, livre richement illustré, Rachel Kahn et Christophe Fort nous disent tout sur le célèbre accessoire.Ce n’est pas d’hier que l’être humain se farde les lèvres à l’aide d’un produit coloré, cela remonte même à la civilisation mésopotamienne, environ 3 000 ans avant J.-C ! Dans ce livre de près de 200 pages à la lecture aisée et rempli d'anecdotes, d'entretiens et même de recettes (comme celle des Geishas!) les auteurs nous racontent cette passionnante histoire du rouge à lèvres, de l'Egypte antique au lancement sur le marché de produits bio sans additifs chimiques en passant par la renaissance du rouge au XVIe siècle (notamment par l'influence des reines) et le revival du cosmétique pendant les deux guerres mondiales.
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Diane de Poitiers
En effet, aux Etats-Unis, le rouge à lèvres sera érigé comme un signe de résistance et de provocation vis-à-vis de l’ennemi. Il fera d'ailleurs partie de l’uniforme obligatoire des femmes engagées dans l’armée. De Cléopâtre à Madonna, de Sarah Bernhardt à Marilyn Monroe, l'iconique accessoire a eu le privilège d'être partout sans même que l'on ne le remarque. Outre le cinéma, le théâtre, il s'est même glissé dans l'histoire de la peinture (de Botticelli à Warhol). Lié à la fois à la mode, à la politique et à la religion, le rouge à lèvres est tributaire des mentalités de l'époque. Souvent, c'est un souverain qui donne le ton. Les auteurs citent cet exemple caractéristique au cours du XVIIe siècle : « En Angleterre, le roi Charles II manifeste sa volonté de libérer ses sujets des carcans du puritanisme. Il favorise la libération des moeurs et ne met plus aucun frein à l'usage des cosmétiques.
Maquillage théâtral et rouge à lèvres outrancier deviennent même des symboles de rébellion contre le clergé. Hommes et femmes partagent le même objectif : attirer le regard. Une forme de 'punk attitude' avant l'heure. » (page 78). Autre son de cloche, deux siècles plus tard dans le même pays où sous la prude et austère période victorienne l'on interdit carrément d'utiliser du fard à lèvres. Dans de judicieux retours sociohistoriques La folle histoire du rouge à lèvres nous rappelle que l'adoption ou le rejet du produit n'est qu'une question de normes. Sous l'Empire romain, il est dans la haute société un luxe indispensable. Des esclaves appelés les comètes (du grec kosmêtés, « arrangeur ») sont même spécialement formés aux tâches de maquillage. Avant un retour en grâce sous la Renaissance le rouge à lèvres est assimilé pendant le Moyen Age au diable. « Le fard n'est bon qu'à faire surgir la beauté du diable et rendre indéchiffrable le visage de la femme. Il ne faut pas corriger l'oeuvre du Créateur ni s'adonner à des futilités qui mettent en péril le salut de l'âme » (page 55), écrivent les auteurs.
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Révolutionnaires
L'on notera aussi l'importance de l'influence de Platon et des penseurs de la Grèce antique, qui voient dans le maquillage autant une activité perverse qu'un acte inauthentique. Sans doute trop lié à la beauté ou à la sexualité, le rouge à lèvres s'attire les foudres du Moyen Age à tous les puritains de notre siècle. Rachel Kahn et Christophe Fort évoquent par exemple dans leur livre le mouvement féministe radical # Balancetonrouge, qui considère que le rouge à lèvres est un instrument de domination. Considéré comme perversion capitaliste chez les régimes communistes sous la guerre froide, comme symbole d'immoralité dans l'obscurantiste Iran actuel, le rouge à lèvres tout au long de son histoire se trouve en permanence - et ce livre nous le confirme brillamment - tributaire d'un contexte social, politique ou religieux.
Rachel Kahn et Christophe Fort, La folle histoire du rouge à lèvres, broché, grand format, éditions Herscher, 203 pages, 2023
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