L'Art brut

Dans une nouvelle édition actualisée  sort L'Art brut (chez Flammarion)  de l'historienne d'art  Lucienne Peiry. C'est un ouvrage de référence pour tous ceux qui s'intéressent à cet art étrange, qualifié parfois de  « singulier » ou d' « outsider ».

L’Art brut compte bon nombre  de nouveaux créateurs en Europe, au Japon, en Chine, à Bali, au Ghana et au Brésil. Lucienne Peiry consacre une large place à ces nouveaux créateurs dans cette 6e édition, largement enrichie, de son ouvrage de référence. Elle retrace l’histoire de l’Art brut, en lien avec le parcours de son initiateur, Jean Dubuffet, mais relate aussi le développement de l’Art brut durant les vingt dernières années ainsi que ses enjeux actuels. L’art brut de Lucienne Peiry nous  offre un saisissant aperçu d’un courant artistique marginal marqué à la fois par l’absurde et l’irrationnel. Rappelons au passage que cet art inspira bon nombre de créateurs modernes et contemporains, de Pablo Picasso à Paul Klee, de Jean Dubuffet - qui est à l’origine de l’expression « art brut » - à Niki de Saint Phalle, plus récemment Annette Messager, Michel Nedjar et Paula Rego…Enrichi de 500 images, cet ouvrage de 400 pages, à la fois érudit et  vulgarisateur   nous propose un tour d'horizon complet de cet art dans lequel les autodidactes sont rois et leurs oeuvres souvent restées confidentielles. En effet,  le grand public connaît fort peu ces artistes, mis à part peut-être certains d'entre eux comme le facteur Cheval - maître d'oeuvre d’un Palais délirant - ou Raymond Isidore, dit Picassiette, auteur d’une maisonnette entièrement couverte de tessons de vaisselle cimentés.    L'art brut fut souvent le fruit de la création de marginaux (internés, prisonniers) ou simplement de solitaires lunatiques, qui à l’écart des circuits artistiques traditionnels sublimaient leur vie sous la forme de peinture, sculpture, photographie, écriture, collage, assemblage ou architecture… Leurs réalisations étaient souvent l'oeuvre de gens de la campagne, qui avaient l'habitude de récupérer et de bricoler dans leur coin sans songer un instant à s'inscrire dans des circuits normalisés comme ceux de l'art officiel et des galeries. Il y eut par exemple Emile Ratier, ce paysan du Lot devenu aveugle, qui fabriquait des maquettes en bois ou encore Paul Amar, coiffeur à la retraite, qui mit... 4.000 heures pour reconstituer des fonds marins. Giovanni Batista Podesta (1895-1976), lui, fut à l'origine d'une forte oeuvre symbolique dans laquelle motifs populaires et religieux se croisent. Parfois une enfance malheureuse sert de fil conducteur pour comprendre une oeuvre. Ce fut par exemple le cas de Simone Le Carré-Galimard   (1912-1996), créatrice de figurines  fantaisistes et d'une série de poupées, jouet dont elle fut privée durant son enfance. Pour les réaliser,  elle collectait toutes sortes de matériaux : boutons, perles, morceaux de poupées, capsules écrasées...  Le livre  L'Art brut nous rappelle entre autres le rôle fédérateur  des lieux institutionnels pour vulgariser l'Art brut. L'on mentionnera  la Halle Saint-Pierre à Paris, la Collection de l’art brut à Lausanne ou le LAM, premier musée officiel d’art brut situé  à Villeneuve-d’Ascq. Lucienne Peiry a été directrice de la recherche et des relations internationales à la Collection de l'Art Brut à Lausanne de 2012 à 2014.  Dans son ouvrage,  elle décrit ainsi le rapport parfois compliqué des créateurs avec les institutions muséales : « Les auteurs d'Art Brut assistent parfois à l'inauguration de leur exposition - tels Jakic, Wey, Lonné, Hauser, Teuscher, Metz, Van Genk et Krüsi - mais leur présence est rare, la plupart des créateurs étant décédés. Certains se montrent indifférents ou peu enclins à prendre part à la promotion de leur production, tels Santoro, Walla ou Mackintosh, tandis que d'autres, indigents, ne peuvent se déplacer jusqu'à Lausanne. » (page 184).   Au final l'on conseillera cet ouvrage de vulgarisation, qui comprend aussi de A à Z un intéressant index biographique des artistes, pour sa description thématique de l'Art brut et son développement tentaculaire jusqu'à aujourd'hui.

Lucienne Peiry, L'Art brut, Histoire de l'art (genre), broché, éditions Flammarion,  réédition, 500 images,  400 pages, 2023